Furieusement optimiste - la lettre
J’étais, cet hiver-là, en proie à d’abstraites fureurs. C’est la première phrase de « Conversation en Sicile » d’Elio Vittorini, et qui semble traverser bien des esprits en cet hiver hésitant.
Mais comment avancer avec de telles fureurs si on n’y puise pas quelques volontés optimistes d’agir sur le monde, son monde. Et dans cet esprit de brandir, lire et écrire une littérature vivante, terriblement vivante !
Et ce n’est pas le texte Dearest - hors de soi de Shoshana Rappaport- Jaccottet qui viendra nous contredire quand la première phrase s’exprime ainsi :
C’est fou ce que ces mots sont violents.
Ou encore, François Rastier, sémanticien et linguiste, de souligner dans le troisième volet d’un article et en s’appuyant sur Le Natya Çastra, traité de poétique indien du deuxième siècle, que les émotions artistiques n’ont rien de commun avec les émotions ordinaires. Evidence ? Quant on constate l’absence des enjeux de la culture dans la campagne politique actuelle, on se dit qu’il y a des évidences qu’il est urgent de remettre au goût du jour.
Demain je meurs, un titre qui ne fera pas plaisir aux petits dieux, rien d’étonnant pour qui connaît les écrits de Christian Prigent. Et à défaut d’immortalité, l’on se contentera d’intelligence et poésie.
Plaisir aussi de retrouver la chronique de l’atelier d’écriture mené par Dominique Dussidour dans la classe de Chantal Anglade à Argenteuil. Des lycéens qui se racontent en s’exerçant à l’écriture autobiographique. Et l’un d’entre eux de se dire ainsi : après avoir sombré, un ange lui a tenu la main, depuis il ne le quitte plus.
Et cette même classe de faire le lien avec le journal de travail de l’artiste Cécile Guyonneau, rédigé pendant qu’elle peignait des portraits de personnes aimées.
Et la colère légitime devant la mort d’un enfant, et que Philippe Forest dans son livre Tous les enfants sauf un nous invite à supporter (porter) avec lui. De creuser là où le désir de vivre pourrait disparaître avec le chagrin, et pourtant : J’écris toujours afin de pouvoir cesser de le faire. Mais je n’y parviens pas.
L’humour du désastre, voilà deux mots que l’on a plaisir à unir aussi, et c’est à Antoine Volodine qu’on le doit. Un dossier sur le Post-exotisme et la nécessité d’entrer dans une période de restauration puisque nous serions arrivés à la fin de celle des idéologies et peut-être même de l’Histoire.
Furieusement optimiste avec Philippe Rahmy quand il nous envoie de son lit d’hôpital des SMS de la cloison : pour que la phrase courte abrège la convalescence. Une écriture poétique brève naît sous la contrainte d’un lieu, d’un corps à soigner et des limites d’ un écran de téléphone portable.
Et, il y a ceux qui partent comme Philippe Lacoue-Labarthe, et qui nous obligent, avec toute la fureur des encore vivants, de repousser le spectre de l’oubli. Les livres ça se lit et relit.
Et à tous ceux qui pleurent déjà sur le corps d’une littérature soit disant moribonde, on dira le sourire aux lèvres mais les dents aiguisées, qu’elle respire encore. Oui, elle respire encore.