Gare maritime (aux 500 premiers)

Il y a beaucoup d’envois qui encombrent, et d’autres qu’on guette, comme Gare maritime. Je n’ai pas idée depuis combien de temps nous arrive, une fois par an, l’élégant et atypique opuscule [1]. Et je sais aussi qu’à peine reparti de la boîte postale je décolle le disque pour l’insérer dans la vieille radio de la voiture.

Le principe : d’abord, les auteurs que reçoit la Maison de la poésie de Nantes lisent dans un club de jazz local, le Pannonica, un lieu de scène, équipé, de matériel d’une part, d’un vrai technicien son d’autre part.

Les lectures sont enregistrées. Le CD accompagnant Gare maritime reprend un texte de chacun. Mais les lectures intégrales sont archivées et consultables à la Maison de la poésie : là aussi, belle leçon.

La revue propose la version écrite du texte qu’on écoute, inédit ou non. Mais aussi un accompagnement rédactionnel de l’équipe : sous la direction de Jean-Pascal Dubost, interviennent et rédigent Guénaël Boutouillet, Bernard Bretonnière, Alain Girard, Yaël Pachet, Jean-Damien Chéné et d’autres (Florence Trocmé, venue présenter son Poezibao, introduit Edith Azam).

Vingt-huit auteurs, vingt-huit lectures. Si les noms des rédacteurs, ci-dessus, se croisent en fraternité et amitié avec remue.net, ce n’est pas forcément un hasard. Dans les invités de cette année, des liseurs d’importance, Jacques Jouet, Jérôme Mauche, Dominique Quélen, Stéphane Bouquet ne craignent pas la scène et le micro.

Parmi ces 28, ils ne nous en voudront pas de proposer 5 extraits. Incitation à lire et entendre : tirage limité à 500 exemplaires (499 sans le mien).

Voici Patrick Laupin, pour la charge qui commence le poème par le lourd mot chômage. « Une présence franche, volontaire et attendrie par empathie d’un côté, grondeuse et rudement rétive de l’autre [...] Or, ce qui rythme cette pulsation, ce sont les hommes, non pas tous les hommes, pas les mangeurs d’hommes, les cannibales libéraux, sans profondeurs et mus par l’instinct de mort du monde, mais ceux qui le bâtissent, ce monde, de leurs mains, de leur intelligence, de leurs silences, ceux qui le rendent émouvant, les endoloris, les taiseux, les aphasiques, les fous, ceux qui ont un accès interdit à la parole », dit Jean-Pascal Dubost dans son introduction.

 écoute : Patrick Laupin, phrase, extrait.

Voici Jacques Ancet, dont on connaît le blog (régulièrement alimenté aussi de traductions inédites), ou ces pages sur la voix dans mon tiers livre.
« Poésie claire, poésie ouverte, poésie du regard et de l’écoute attentifs [...], tant aux êtres qu’aux choses, jusqu’aux murmures, jusqu’aux "voix muettes", poésie lente, avec de brèves accélérations », dit Bernard Bretonnière.

 écoute : Jacques Ancet, l’été vient, extrait.

Voici André Markowicz, dont on connaît la résistance aux traces écrites, pas de blog ni de sites, pas d’écrits sur la traduction, et pourtant un incroyable nomade de séances pour nous un peu mystiques, où il nous fait passer d’une langue dans l’autre, en improvisation, désignant Mandelstam ou Pouchkine au-delà de toute possible traduction. Ici, André lit ses propres écrits. « C’est un mouvement d’empêchement permanent, sous la menace de ses propres scrupules. Traduire serait lire et écrire mêlés comme jamais, ou comme toujours ils devraient l’être mais ici : indissociables ici, attachés, siamois, donnant naissance à ce phénomène curieux : un lirécrire obligé. Je lis ce que j’ai déjà lu, dix fois lu, mille fois lu, et en même temps : je l’écris, je l’invente », dit Guénaël Boutouillet. La voix, la douceur, la précision en parfait miroir de comment nous, ses amis, percevons André, comment il est parfois littéralement don vivant.

 écoute : André Markowicz, Figures, extrait.

Voici Edith Azam (son site : Phasme), et il faut entendre cette voix où pas une phrase trop, pas un mot qui évite. « Il faut écouter Edith, il faut la lire aussi, car ça passe vite la lecture en public, ça ronfle ronronne trépide comme un beau moteur mais ensuite ça vaut le coup d’aller ouvrir le capot et de regarder comment c’est fabriqué. Aller regarder de près le jeu sur les sonorités, les inventions verbales, les arbres et courroies de transmission du sens », dit Florence Trocmé. Avec, amis lointains, un petit zeste d’accent Montpellier pour votre éducation : en écouter plus sur libr-critique.

 écoute : Edith Azam, Bouche cousue, extrait.

Et pour finir, qu’il y a aussi des invitations duo avec musicien. Alors qu’évidemment, sachant que c’est Eric Meunié et Olivier Mellano, c’est le morceau qu’on a voulu entendre d’abord, entrer dans la pâte, avant de se hisser à la poésie. Meunié travaille de longtemps sur la figure de Jim Morrison (et même, qu’il habite rue Beautreillis) : c’est une dérive sur Morrison, Mellano aux guitares et boucleurs, Eric au micro, un peu comme ils ont fait dans le Ralbum. « Car le méticuleux Meunié s’affaire de toutes forces à : ouvrager du vertige et le pointer. A : creuser des trous dans le réel », dit Guénaël.

 écoute : Eric Meunié, Olivier Mellano, Monter Morrison, extrait.

Et bien sûr la Maison de la Poésie de Nantes pour le programme complet, et les archives, ou les numéros des années précédentes.

21 juin 2008
T T+

[1C’est bien sûr indiqué sur le site : revue depuis 1994, et dans la forme actuelle lecture avec CD depuis 2002.