Hommage à Isabelle Eberhardt

« Il est des heures à part, des instants très mystérieusement privilégiés, où certaines contrées nous révèlent, en une intuition subite, leur âme, en quelque sorte leur essence propre, où nous en concevons une vision juste, unique et que des mois d’étude patiente ne sauraient plus ni compléter, ni même modifier » (Au pays des sables).

Isabelle Eberhardt est morte il y a cent ans, emportée, à l’âge de vingt-sept ans, par la crue d’un oued, le 21 octobre 1904, à Aïn Sefra. Vêtue en cavalier arabe, elle parcourait depuis des années les pistes sahariennes, partageait, en compagnie de Slimène, la vie quotidienne des nomades dans le Souf, région du Sahara algérien qui s’étend au sud de Biskra. Peu d’écrivains occidentaux ont évoqué avec autant de précision et de justesse les oasis d’El Oued et de Touggourt, les nuits froides dans le désert, la couleur des sables, la violence du simoun.

Voûtes argentées des dattiers, enchevêtrement encore sans feuilles des figuiers, des grenadiers et des vignes couvertes de bourgeons pâles, pieds de nana, de basilics et de menthes odorantes penchées sur le murmure doux de la seguia magnésienne. La nuit, de tous ces ruisseaux limpides, s’élève la voix multiple, douce et mélancolique d’innombrables crapauds minuscules. Là, assis dans un coin de la cour par la soirée encore presque froide, nous nous chauffons autour du feu, roulés dans nos burnous. Moi je songe avec une mélancolie délicieuse à toute l’étrangeté de ma vie en ces décors singuliers... Et les yeux mi-clos, j’écoute les chants plaintifs des chameliers et des deïra. Comme aujourd’hui en route, dans le désert, je sens un grand calme descendre en mon âme. Je ne regrette rien, je ne désire rien, je suis heureuse.
(Au pays des sables, « Printemps au désert »).

Elle fait partie de ces voyageurs qui ne craignent pas de renoncer, provisoirement ou pour toujours, à leurs propres repères afin d’ouvrir leurs yeux à un autre regard, un autre pays.
La bibliothèque municipale de Lisieux a mis en ligne quelques-unes de ses nouvelles dont « Le major », lecture lucide et critique de la colonisation française, ses troupes d’occupation et ses bonnes raisons prétendument civilisatrices.

Si Isabelle Eberhardt a beaucoup écrit, rien n’a jamais été publié de son vivant, il n’existe donc pas d’édition originale et ses textes figurent au catalogue de différents éditeurs (Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs). La collection Les Editions du Centenaire 1904-2004 (chez Joëlle Losfeld), composée par Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu (auteurs de Sables ou le roman de la vie d’Isabelle Eberhardt, Liana Levi, 1986), se réfère aux manuscrits conservés aux Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence ou aux textes publiés dans la presse avant sa mort. Titres parus ou à paraître : Au pays des sables, Journaliers, Amours nomades, Sud oranais.

17 octobre 2004
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