Jean-Marie Gustave Le Clézio prix Nobel de littérature 2008

21 juin

J’ai dormi la plus grande partie de ce jour, à l’orée du bois de filaos. J’aime le bruit que fait le vent dans leurs aiguilles. Je me souviens de l’histoire que me racontait Jacques, autrefois, à Paris, quand nous nous retrouvions chez mon père, et le nom des filaos résonnait pour moi comme un nom magique, un arbre qui n’existe que dans les légendes. « Derrière la maison d’Anna, il y avait une forêt de filaos, le long du ravin qui va jusqu’à la mer. Un jour, un ami de grand-père est venu de France, passer quelques jours à la maison. À l’heure du dîner, il s’est installé à table, et à ce moment le vent de la mer a commencé à souffler. Grand-père lui a donné le plat de riz, et comme il se servait très peu, grand-père lui a demandé : “Vous n’êtes pas souffrant ?” L’invité a dit : “Non, au contraire, j’ai très faim.” Et il a fait signe d’écouter le bruit qui venait du dehors :
“Je me réserve pour la friture !” L’histoire a tellement plu qu’elle est restée dans la famille, et Jacques me l’a racontée à son tour, et elle semblait merveilleuse dans l’hiver parisien aux arbres décharnés. C’était tout ce qui nous restait de Médine, et d’Anna, le bruit de cette friture qui résonnait dans le soir quand le vent de la mer passe dans les aiguilles des filaos, et moi aussi je me réservais pour le goût des poissons frétillants dans l’huile chaude.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, La Quarantaine , Gallimard, 1995.


Lire Pour remercier Le Clézio sur le site de François Bon et télécharger son discours de réception à l’Académie suédoise du prix Nobel.


Henri Michaux et Jean-Marie Gustave Le Clézio dans l’Anthologie permanente de Poezibao.

« Deux hymnes de Le Clézio à la liberté vraie », un texte de Jean-Michel Maulpoix.

9 octobre 2008
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