Journal épisodique et fragmentaire (Vendredi 14 octobre)
Vendredi 14 octobre 2011
Flâner dans la librairie, échanger quelques mots avec les unes et les autres, musarder et disparaître dans le décor, une résidence c’est ça aussi : une imprégnation invisible et du temps partagé sans autre souci de production ou de rentabilité sensible.
J’ai pris rendez-vous avec Dominique pour évoquer les différentes manifestations programmées au cours des semaines à venir et pour envisager de manière plus concrète la manière dont je m’y inscrirai aux côtés des auteurs, des lecteurs et des traducteurs. Il m’écoute derrière son clavier et tout en discutant, il m’expédie directement les adresses électroniques nécessaires.
Nous parlons également de ma pièce. Ce qui assez rare en ce qui me concerne car si je n’ai pas spécialement la passion du mystère, je suis toujours assez peu confiant à ce stade d’écriture. Mais l’occasion est favorable pour essayer de faire le point sur son avancement et pour explorer quelques pistes ouvertes par ses remarques, ses suggestions, les images qu…˜elle convoque dans sa vision de metteur en scène. Portrait des personnages et esquisse de l’intrigue, récit des premières scènes... Je lui raconte assez longuement le mythe osirisien et les deux morts du roi dieu. Son long voyage sur le Nil et en Méditerranée dans le coffre-cercueil où l’a enfermé Seth, évoque assez immédiatement la barque de Charon autant que ces embarcations fantômes où des hommes sans scrupules livrent les candidats à l’exil au péril de la mer. Il y a aussi Isis, la sœur aimante, l’épouse et les retrouvailles à Byblos sur une terre étrangère. Elle libère Osiris, elle lui redonne la vie, le reconduit en Egypte. Vient la nouvelle traîtrise de Seth, la nouvelle quête d’Isis pour retrouver et rassembler les fragments dispersés du corps de son époux auquel il manque la verge. Vie et mort, dispersion, départ, exil, castration, voyage, mythe de la résurrection et du renouvellement de la vie, c’est cette matière riche qui doit alimenter la pièce, lui insuffler sa poésie au delà de l’aspect documentaire et d’une actualité aujourd’hui déjà en sommeil.
Ambiance silencieuse et studieuse autour des bureaux voisins. Pendant que Céline achève les dernières corrections sur les épreuves de la pièce de Walczac qui doit sortir très prochainement, Julie administre la maison sans se départir de son sourire et Sandra aide Oriane à encadrer son exposition en vue du vernissage prévu à 19h. « Mais, ajoute la photographe, j’ai demandé à mes amis de venir pour 18h30 parce qu’ils sont toujours en retard »
L’exposition est consacrée à la vie en Afghanistan, un pays dévasté et en proie à la guerre mais dont la photographe voyageuse a tenté de saisir des images plus heureuses du quotidien et de l’insolite. Portraits de vieillard pachtoun, de fillettes orphelines au regard lumineux, un homme assez par terre à côté de sa brouette et qui attend la pluie dans une rue de Kaboul, un militaire très baraqué qui achète une poupée Barbie sur un marché, trois garçons assis tranquillement dans l’herbe sur le parvis d’une grande mosquée aux superbes coupoles bleues... Sur une photo, un homme à moustaches, très fier, pilote une auto-tamponneuse. Une femme en burqua est assise à côté de lui, elle serre son sac à main sur ses genoux comme si elle redoutait de la perdre. Dans un autre véhicule, deux jeunes garçons regardent le couple avec la mine amusée de ceux qui vont les tamponner. Il y a aussi cette femme devant un magnifique décor de mosaïques bleues. Elle porte également une burqua. À la hauteur de son regard, elle lève son téléphone portable. Peut-être est-elle en train de recevoir un appel ? Dans son autre main, elle porte un grand sac en plastique orange à logo commercial. Ses pieds sont nus, la scène se passe dans un tombeau.
Oriane se sent un peu nerveuse. C’est sa première exposition et elle a un peu le trac. Elle avoue ne pas trop savoir comment s’y prendre au juste. Accrocher dans quel ordre ? À quelle hauteur ? Et puis, modestement, elle ne se considère pas comme une photographe. Elle revendique plutôt le statut de voyageuse, un métier qui n’en est pas un, dont elle assume la passion en travaillant à mi-temps et en louant son appartement durant ses longues et nombreuses absences. Elle revient d’Inde et souhaite repartir en Afghanistan si elle parvient à obtenir un visa. Elle compte sur la présence de l’ambassadeur au vernissage pour débloquer la situation, cette complexité administrative qui « met des bâtons dans les roues des rêveurs. »
À l’heure et en dépit de ses craintes, toutes les photos sont accrochées et Dominique a même le temps de concevoir un éclairage. Les canapés sont prêts, les carottes ciselées en crayon, les visiteurs sont là. Aucun n’est en retard et ils sont même venus en nombre. Les conversations vont bon train dans la salle un peu exigüe au regard de sa fréquentation et on a même un peu de mal à entendre la musique du joueur de rubab. Au bas, il y a le choix entre du vin français gratuit et du vin du Monténégro à trois euros le verre. Mais la plupart des visiteurs font le choix de goûter au vin monténégrin.