Julien Boutonnier | Istanbul

nos rêves légifèrent
instruire une argile
ce visage d’une jeune femme
retable de san zaccaria, bellini : froid dans la nef
et le silence se pressait contre nous
ô
le calme de sa bouche si neuve
la prémonition blanche des douleurs
dans la moue gracieuse
immobile
et je me résigne
— dès la morsure d’une cause
la lumière te passe à tabac
 : noirceur de marmara 
 : exuvie de soleil
caresses
— séracs ! cuisses
amoncelantes. icebergs !
il y a le phrasé de la lumière dans la rue, comme
nous nous logeons dans cette élocution rieuse. il y
a la chambre du bosphore, où tout passe sinon
l’incessant premier mot d’une histoire
j’entends devenir ma m o r t
— viens ! (elle rit dans l’iris écl·até du jour)
/ regarde un sac plastique blanc
se traîner dans un lent vent fiévreux
comme — une remontrance hasardeuse…
accoudéeà la mosquée
bleue :
papier crépon, vent dans les cyprès
silence palissadé
et puis elle tourne la tête lentement, et ses lèvres ! luisent
dans la paresse S tambouliote
tu rêves : dos au jour
la peau la vive s’énamoure de ta nuque ém ie tt ée
et puis c’est l’oubli  :
le vide entre nous penche / sur les pavés de fatih _ _ _
_ _ _ toi et moi c’est un sable entre les doigts
d’une brise qui passe à demi pensive
et nous avons jonché le sable
comme une mue de la nuit
tu as filmé quelque chose
, peut-être un enfant
à l’abord des poubelles
__ c’était comment dire
elle me montre la blessure à sa cheville • les
nouvelles chaussures • sa petite moue sexy • je
baise le talon • mes lèvres à genoux
, un infiniment je-ne-sais-quoi
, vers sainte sophie
, c’est faire la place
tu poses le crâne sur la nuit roulée en boule
tu regardes après l’amour
l’écran sans le son les images
qui se reflètent sur ton visage
brillanté
(comme un roman) :
, entailles du risque
, mélancolie du reste
tu serres les poings, t’envoler, ah, mes aïeux !
la grande affaire d’icare c’est son mafieux de père
quand de l’air se lasse : midi
tresse mélancolique
et de l’eau s’égoutte
— on mange ?
le seuil c’est l’amour infidèle amour
à la lettre / prends ma main je prends
l’icône dévêtu : quand jouir veut dire
trouer les yeux : on voit la levée
des forces affleurer : masse pleine
d’il/erre : et : ’il/erre penche toujours
vers on ne sait quel idiome :
’il/erre secrète un seuil : au fur et à
mesure que pousse la vie
vaque un labour des feux
je regarde ce regret nouer les cheveux des morts
longues nattes sentimentales et vaines
sur l’homme langé d’auschwitz
on boit une bière sur le toit de l’hôtel
le bleu de l’ennui à perte de vue
—  la vacuité du médiastin !
un éclat griffe
— liesse
un rêve de pureté t’a souillé
(c’est une innocence qui avance à la machette)
— tu penserais à quoi si tu étais là ?
torsion des ombres tardigrades —
crevasses : tes yeux n’en peuvent
elle paresse à l’ombre d’un parasol coc·a-cola :
ses étendues rêvent inemployées
ta parole a sombré
l’en fuite a cessé
sa main reflète un effroi • comme une serre de
rapace • j’ai vu la prédation • j’ai vu le meurtre
— viens ! quel beau panorama !
les pierres n’en ont rien dit
une nuit succède à l’autre
sur le pourtour des étreintes
il y en a un peu / du sang sur les draps /
des paragraphes mouillés / "son corps
a précipité l’impossible — cette butée tendre
à l’aventure"
nos bouches fermées la nuit sur le marbre
chaud / grouillement de vie dans la salive
lester un soir ponctué d’îles
poids du bleu dans la chambre vespérale
traînes successives et blanches, impression de ventre :
"ce jour finit où forent nos corps"
sa voix dans l’eau de la douche
silence des rosiers constellé de fontaines
on a vu les ordures
ourler les rues
de vives couleurs
imputrescibles
— regarde la maison d’oiseaux !
son bras nu tendu vers la nichée des amours
"elle attribue l’incandescence au traité d’oubli"
froissement de saphir neigeux
voix de salive et bouches unies
— on se fait un kebab ?
à l’aune d’une imprécision salvatrice
glaner le hasard des caresses :
ô cet éperdument !
— o k d’ a c
percer l’écho lisse dur
à la lumière aurait eu lieu
ce ravissement du bosphore
je me suis réveillé ce matin • mon premier regard
fut pour tes lèvres • il y avait le chant d’un oiseau •
courir à la commissure • et loger le jour dans ce
repli incertain

"le fur et à mesure de la vie dans l’haleine a bon goût"
un soir de reste après
— ce qu’on voit fuir
nos destins s’amoncellent
et personne pour oublier
elle éclate de rire
— t’es con toi !
elle court vers le tramway :
ses petits sauts sur les flaques
sont des espaces entre les mots
lisière errante
vers une danse
quelque chose — enfante :
vibré (sans que rien ne dure)
"la réconciliation est une pierre froide pour lapider le jour"
— mais moi j’ai envie de toi !


Julien Boutonnier est un auteur et performeur toulousain né en 1977.
Dans les années 90, il a participé à de nombreux groupes de rock extrême en tant que chanteur et instrumentiste (tournée, disques…). Au début des années 2000, après différentes expériences de comédien et de metteur en scène de courts métrages, il commence à écrire et ne s’est depuis plus jamais arrêté.
La recherche littéraire de Julien Boutonnier est animée par la nécessité de retourner les situations de deuil et de souffrance en opportunité de vie et d’apprentissage. Dans ce travail, une place essentielle est donnée à l’irrésoluble intrication de soi et de l’autre dans les processus de construction de la personnalité.
Les formes travaillées appartiennent aux registres de la poésie contemporaine en vers libres, de la prose poétique, de la nouvelle, du récit et du roman, mais peuvent aussi être empruntées au domaine de l’essai. Elles transitent sur différents supports web, numérique et papier.
La pratique de la lecture et de la performance occupe une place centrale dans cette expression, en tant qu’implication du corps devenu texte parlant proposé aux lecteurs spectateurs.

6 mars 2017
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