L’Affaire Laura (3)

« Rien n’aboutit jamais si ne s’y mêle un grain de folle impertinence. »
Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles

« Bientôt, il faut l’espérer, le mot “fabrication” lui-même cessera d’être péjoratif. »
Alain Robbe-Grillet, « Le réalisme, la psychologie et l’avenir du roman »

Vers la fin septembre 1998, alors que je mettais la dernière main à la nouvelle version de Zembla, site Web consacré a Vladimir Nabokov que j’ai créé en 1995 et dont je suis depuis rédacteur, j’ai posté l’article reproduit ci-dessus. En plus du texte et des graphiques l’accompagnant - le portrait de « Laura » et des fiches visiblement écrites par Nabokov - il y avait, éparpillées un peu partout sur le site, des bribes de texte visant à corroborer l’authenticité de l’article. À savoir :

 la mention (d’une seule ligne) de l’article dans la section « nouvelles » du site, tout à la fin d’une liste d’autres nouveautés et mises à jour (Michel Desommelier sur L’Original de Laura)

 une brève notice biographique sur l’auteur de l’article, qui a paru avec d’autres notices biographiques sur la page « collaborateurs » (où Michel Desommelier était décrit comme un professeur suisse enseignant à Bâle et spécialiste de Peter Handke)

 une page consacrée à L’Original de Laura dans la section « œuvres » du site, comportant un extrait du texte, une reproduction de la couverture du roman, et un lien vers l’article de Desommelier

 un fichier sonore de la soi-disant première phrase du roman, lue par Wilson Hutton, un de mes collègues qui fait du théâtre et qui a gracieusement consenti à enregistrer pour Zembla des lectures des premières phrases des romans de Nabokov

 une page dans la section « bibliographie » du site consacrée aux articles critiques sur L’Original de Laura qui ne comportait qu’une seule référence, l’article de Desommelier

Quelques jours après que le nouveau Zembla, ainsi que l’article de Desommelier, ont été mis à la disposition du public, j’ai signalé le nouveau site sur NABOKV-L, liste de discussion électronique dont les plus de cinq cents abonnés incluent quelques-uns des plus importants spécialistes de Nabokov dans le monde ainsi qu’un nombre considérable d’aficionados de Nabokov n’ayant pas de liens avec la communauté universitaire. Au cours des trois semaines qui ont suivi, j’ai reçu plusieurs dizaines de courriels de la part des internautes qui avaient visité le site. En gros, la réaction était favorable et, satisfait de voir que la nouvelle version de Zembla avait tant de succès, je me suis tourné vers d’autres projets.

* * *

Au cours de la troisième semaine d’octobre - donc un peu plus de trois semaines après la parution du canular -, je reçois un petit mot de Stephen Jan Parker, co-fondateur et secrétaire/ trésorier de l’International Vladimir Nabokov Society [1], dans lequel il me demande, en passant, si l’article de Desommelier est « authentique ou pour rire ». En répondant au message, j’élude la question, pas du tout disposé à révéler la ruse. Quelques jours plus tard, un deuxième courriel me parvient de Parker, qui avait des difficultés d’accès à la section de Zembla destinée aux chercheurs (et qui était, par chance, la section où se trouvait l’article de Desommelier). Je lui envoie par courriel des conseils techniques et lui propose de me passer un coup de fil si le problème persiste. Il me téléphone quelques minutes plus tard ; après quelques manœuvres simples, le problème est réglé. (À ce moment-là, il ne m’est pas venu à l’esprit que ce que Parker cherchait, c’était l’essai de Desommelier.)

Le 20 octobre au matin arrivent dans ma boîte aux lettres, l’un immédiatement après l’autre, deux courriels. Le premier est de Brian Boyd, biographe de Nabokov, professeur d’anglais à l’université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, et considéré par de nombreux chercheurs comme le spécialiste de Nabokov le plus en vue du monde. Il vient de recevoir ce qu’il décrit comme « un coup de téléphone très affolé de Dmitri [Nabokov] », qui avait été informé par Steve Parker que Zembla avait publié des extraits de L’Original de Laura. (De toute évidence, Parker, n’ayant pas eu de moi de nouvelles contraires, avait décidé que les extraits étaient authentiques. [2]) Boyd, furieux, m’écrit que « Eggerickx et Desommelier [l’infirmière et le chercheur suisses que j’avais inventés] feront l’objet de poursuites » et que j’ai, moi aussi, contrevenu à la loi sur le copyright et me suis rendu coupable de « recel d’objets volés ». Et ainsi de suite, sur le même ton, sur plusieurs paragraphes ; il se dit « déçu et outré » au moment de signer.

Inutile de dire que je suis interloqué. Brian Boyd et Dmitri Nabokov (fils ainsi que traducteur principal et exécuteur littéraire de l’auteur) sont vraiment les deux dernières personnes au monde que je me serais attendu à duper avec de faux extraits, puisqu’ils sont les deux seules personnes sur terre (pour autant que je sache) qui ont lu le roman inachevé tel qu’il était au moment du décès de Nabokov en juillet 1977.

Effrayé par les menaces de Boyd, incertain des ramifications légales de ce que je voyais comme un canular inoffensif et relativement transparent, conscient aussi que la Succession Nabokov avait, par le passé, recouru aux actions de justice quand elle était mécontente d’un chercheur, d’un critique, ou d’un éditeur, je retire immédiatement du site le canular et tous les liens et références menant à lui. Je réponds au professeur Boyd par un bref message qui commence ainsi : « Un canular. Et maintenant tout à fait disparu. Je suis désolé qu’il ait causé tant d’indignation. Je pensais que c’était si manifestement invraisemblable que personne n’en serait dupe. »

Le deuxième message est de Steve Parker, qui me fait savoir que Dmitri Nabokov veut me téléphoner et me demande de lui (à Parker) envoyer mon numéro de téléphone. Je le fais aussitôt, révélant que l’article est un canular et ajoutant : « Veuillez faire mention dans votre télécopie [à Monsieur Nabokov] que le matériel qui a causé son indignation a été retiré. »

Le lendemain matin, je reçois un coup de téléphone de Dmitri Nabokov. Étant dans l’intervalle entré en contact avec Parker, il sait déjà que l’article et les extraits font partie d’un canular, mais il veut avoir la confirmation qu’ils ont été retirés de Zembla, non pas, évidemment, parce qu’ils l’ont offensé (comme ils ont offensé Boyd [3]), mais parce qu’il a peur d’être assailli par des Nabokoviens bien intentionnés voulant l’avertir que les extraits ont été publiés sans sa permission. Il craint aussi que des éditeurs russes sans scrupule, dont il connaît bien la propension au piratage littéraire, flairent l’existence des extraits, les traduisent, et les insèrent dans une des nombreuses éditions russes des œuvres de Nabokov alors sous presse [4].

Notre conversation dure une demi-heure. Je prends quantité de notes pour pouvoir la reconstituer par la suite. Après quelques mots sur le Festival Nabokov de Cornell (auquel il a lui aussi assisté [5]) et sur les projets dont il s’occupe à ce moment-là, il me lance : « Parlez-moi de ce canular. Est-ce que l’on sait qui en est l’auteur ? »

Je réponds : « C’est moi qui en suis l’auteur. » (À ce moment-là je ne me rendais pas compte que ni lui ni Parker n’avaient deviné que c’était moi le coupable.)

Il y a un long silence. Sa surprise initiale passée, il parle avec admiration de la finesse avec laquelle le style de son père a été reproduit et pose plusieurs questions sur le choix de certains mots et noms de personnes, surtout « Eggerickx » et « Desommelier » [6], que, comme Boyd le révélera plus tard, Nabokov a essayé de localiser en Suisse. Lorsque je lui dis que le portrait de « Laura » représente en réalité ma copine et qu’elle m’a accompagné à Cornell, il s’exclame « Merde ! » ou, si j’ai bien entendu, « Merde alors ! » - exclamation amusante venant de la bouche d’un homme qui parle couramment plusieurs langues. Démontrant une fois de plus que la vie imite l’art, il révèle qu’une jeune infirmière à qui Nabokov avait longuement parlé de L’Original de Laura a bel et bien existé, et il se demande comment j’ai pu le savoir. Bien sûr, je ne le savais pas, j’avais seulement fait une supposition éclairée. Qu’il me soit permis de citer à ce sujet le faux Nabokov : « L’imagination d’un artiste s’avère souvent plus juste dans ses visions que les conjectures raisonnées de l’homme de science. »

Nous discutons des autres points du canular, de sa langue et des aperçus de l’intrigue du roman qu’il donne au lecteur. À la fin de notre conversation, il déclare que personne d’autre n’aurait pu produire ce texte, puis, se reprenant, qu’il aurait pu lui-même le faire mais qu’il n’a pas de temps pour de telles choses, avant de se reprendre une nouvelle fois pour dire que même lui n’aurait pas pu le faire. Sans trop me flatter, j’aimerais croire qu’il a raison.

La satisfaction que je ressens d’avoir imité Nabokov d’une façon si convaincante compense en quelque sorte ma déception d’avoir eu à retirer si tôt du site l’article de Desommelier. Je propose de glisser une note dans la section « nouvelles » pour révéler le canular et Monsieur Nabokov accepte volontiers, ajoutant que je peux le citer en disant que le canular a été monté « au grand amusement de Dmitri ». Dans les heures qui suivent notre conversation, j’ajoute une note à cet effet sur le site. Inutile de dire que sa première réaction semble éloignée de ce « grand amusement ».

Soulagé aussi de savoir que je ne serai pas poursuivi en justice, légèrement écœuré par la réaction qu’a provoquée le canular, j’ai redirigé mon énergie vers d’autres projets.

* * *

Le précurseur de ma Laura est une femme du nom de Jacqueline Tenier (prononcé en français, ce nom sonne, à peu près, comme le génitif pluriel du mot russe « ten’ », « ten’ei », ce qui signifie « des ombres »), peintre suisse née en 1899 ou 1900 qui a fait des études pendant un petit bout de temps à Neuchâtel avant de déménager à Paris peu après la Grande Guerre (ca. 1919), où elle a travaillé jusqu’à sa mort prématurée liée à une phtisie, juste avant la Deuxième Guerre mondiale. Quoiqu’elle ait été prolifique, d’après ses connaissances (dont les peintres plus célèbres qu’elle Jules Pascin, Foujita et Max Ernst), et si l’on en juge par ses journaux intimes, les seules œuvres que l’on connaisse de première main sont une collection de petites toiles et de panneaux, la plupart fort abîmés, découverts dans un grenier parisien à l’automne 1985. L’un de ceux-ci, une copie petit format d’un paysage toscan par Sernini se trouve en ma possession.

Tout comme Laura, Jacqueline Tenier est une pure invention [7]. Je l’ai conçue vers 1990 comme le personnage principal d’un projet destiné à être une synthèse de la peinture et de l’écriture, ou de l’image et du texte, qui à cette époque-là coexistaient dans ma vie d’une façon de plus en plus troublante. À mon avis, la maîtrise d’un art requiert un engagement absolu ; toute autre manière de pratiquer la création artistique n’est que dilettantisme. Aux moments où j’aurais pu peindre, j’écrivais, et cela me troublait. Je craignais qu’une attention permanente aux deux arts, à la peinture et à la littérature, ne me conduise à ne maîtriser ni l’un ni l’autre. M’étant demandé s’il valait mieux abandonner le deuxième au profit du premier, j’ai décidé que la réponse - au moins provisoirement - était oui.

En 1991, j’ai essayé pendant plusieurs mois de ne pas écrire et de consacrer à la peinture le temps que j’aurais consacré à la littérature. J’ai compris presque aussitôt que l’inspiration littéraire est distincte de l’inspiration picturale et que l’on peut difficilement les troquer l’une contre l’autre. L’envie (je dirais même, le besoin) de peindre est très différente de l’envie (ou du besoin) d’écrire, et faire l’un au lieu de l’autre a débouché sur de longues séances devant une toile blanche pendant que des milliers de mots gambadaient dans ma tête, me tourmentant de leur insaisissable immanence.

Déçu par les résultats de l’expérience, je me suis demandé s’il y avait une autre voie, un moyen de faire la synthèse des deux arts. La possibilité s’offrait d’écrire la biographie d’un peintre, un peintre que je créerais et dont je produirais moi-même les œuvres, un peintre dont la vie et l’œuvre, considérées dans le contexte de l’époque où j’allais la placer, seraient convaincantes et vraisemblables et auraient assez de mérite artistique pour justifier l’attention d’un biographe et des historiens de l’art.

* * *

Au printemps 1993, je m’adresse à une collègue, spécialiste de livres et de manuscrits rares, pour qu’elle me fasse une lettre de recommandation pour la Bibliothèque nationale. (Pour obtenir une carte de lecteur - nécessaire pour accéder aux salles - tout chercheur doit en passer par un bref entretien et présenter une lettre de recommandation écrite par une source officielle ou reconnue.) J’explique à ma collègue que je me propose de faire des recherches sur la vie et les œuvres du peintre suisse Jacqueline Tenier, sur laquelle j’écris un livre. Elle fait un brouillon de la lettre, je la traduis en français et l’on en fait dactylographier une version finale sur papier en-tête et dûment signée.

En juillet de cette année-là, après avoir passé un entretien et m’être fait photographier, je passe cinq jours dans la Salle des Imprimés, faisant des recherches sur une femme dont je sais qu’elle n’a pas existé, mais dont j’espère pourtant distiller l’essence à partir des quatorze millions de volumes de la Bibliothèque nationale.

* * *

Pendant quatre ans, je fais de la peinture et j’écris. Je détruis l’essentiel de ce que je produis, et ce que je ne détruis pas me laisse désenchanté par la suite. Des deux ou trois dizaines de dessins et de toiles achevées au cours de ces quarante mois, deux me satisfont, encore qu’imparfaitement. De la même façon, à partir des centaines de pages de notes et de brouillons amassés, je peux produire environ quatre-vingt pages de texte « définitif ». C’est de ce matériau que les extraits de L’Original de Laura seront tirés.

En 1996, le projet Tenier n’avance plus, et je retourne à la peinture à plein temps ; désormais je la fais sous mon propre nom au lieu de celui de Tenier. Un des premiers tableaux que je termine, c’est le portrait qui ira par la suite accompagner le canular pour tenir lieu de « Laura ».

L’inspiration, d’après mon expérience personnelle, est un changement d’état subit qui résulte généralement d’une longue série de modifications sensorielles insaisissables et fugitives. Voici, énumérées plus concrètement que cette définition ne laisse supposer que cela soit possible, les circonstances réunies pour produire, au bout de huit ans, ce qui est finalement devenu le canular de L’Original de Laura.

1. La joie de la création en soi.

2. La gageure d’imiter la prose de Nabokov, auteur au style soi-disant inimitable.

3. Mon idée que l’imitation, ou plutôt le mimétisme, est un hommage au génie littéraire (or créateur) beaucoup plus approprié que les essais d’explication.

4. L’affaire Shishkov : Nabokov aimait les mystifications littéraires. La plus célèbre ainsi que la plus compliquée de ses farces met en jeu un poète du nom de Vasiliy Shishkov inventé par Nabokov comme moyen de se venger des critiques de sa poésie, dont le plus important était Georgii Adamovitch. À l’occasion de la mort du poète émigré Vladislav Khodasevitch le 14 juin 1939, Nabokov compose un poème commémoratif ayant pour titre « Poèty » [Les poètes] qui est publié sous le nom de « Vasily Shishkov ». Adamovitch, jusque-là hostile à la poésie de Nabokov, qu’il caractérise comme « cérébrale et manquant de musique », rédige un compte rendu élogieux du poème de Shishkov, en écrivant que « chaque vers, chaque mot fait preuve de talent ». Un mois plus tard, Nabokov publie sous son propre nom (ou plutôt, sous son pseudonyme habituel, V. Sirine [8]) un texte intitulé « Vasily Shishkov ». Tout en se donnant comme une mini-biographie de Shishkov, le récit fait comprendre que Shishkov est inventé et que Sirine est son inventeur ainsi que l’auteur de « Poèty ». La réponse publiée d’Adamovitch est pleine de circonspection, et il semble être peu disposé à admettre qu’il a été dupé.

5. Mon antipathie pour le milieu universitaire (même si beaucoup de mes amis et collègues en font partie).

6. Ma certitude que L’Original de Laura, qui est le seul manuscrit (ou le seul manuscrit véritablement connu du moins) que Nabokov ait laissé inachevé à sa mort, est une sorte de morceau de choix, infiniment désirable pour les spécialistes de Nabokov, et que, si ledit morceau se trouvait subitement accessible pour le public, il serait aussitôt déchiqueté, mâché, avalé et excrété par le système universitaire (on dirait du Baudelaire à l’envers : « Tu m’as donné ton or et j’en ai fait de la boue. »).

7. Le fait que Dmitri Nabokov refuse de faire ce que voulait son père : détruire au moment de sa mort L’Original de Laura, sans le lire, et sans le publier quoi qu’il en soit. Ce refus têtu, comme celui de Max Brod de détruire les manuscrits de Kafka, me fascine.

C’est à partir de tout cela, et de beaucoup plus de choses, trop insaisissables pour être énumérées que l’article de Desommelier allait prendre naissance.

* * *

Malgré mes incursions dans le monde de la création littéraire, par formation, par inclination, et par métier sinon par profession je suis peintre plutôt qu’écrivain. Le portrait de « Laura » qui accompagne l’article de Desommelier est en fait un tableau, une huile sur lin de 101,6 x 76,2 cm, que j’ai peint entre mai 1995 et le 6 mars 1996 (qui est, par le plus grand des hasards, la date du vingt-septième anniversaire du modèle). Le sujet en est ma femme (à cette époque-là ma copine), dont le nom se trouve être, phonétiquement, très proche de « Laura ».

Je ne me propose pas de faire ici l’analyse des mérites artistiques du portrait. Les connaisseurs remarqueront que la position quelque peu anormale du pouce de la figure est un hommage au pouce de la figure masculine couchée dans le Déjeuner sur l’herbe de Manet (1863, Musée d’Orsay, Paris) [9]. Je laisse aux spécialistes le soin de localiser et d’énumérer les autres références contenues dans le tableau.

En utilisant le portrait comme élément central, j’ai créé, dans Photoshop, une fausse maquette de couverture pour L’Original de Laura modelée sur la série Vintage International des œuvres de Nabokov, incluant le logo de la maison d’édition en bas à gauche, le nom de l’auteur en haut à gauche, et un court texte de présentation écrit à la main faisant le tour de l’image centrale (le portrait) - en l’occurrence, une citation attribuée à Charles Kinbote [10] : « L’ouvrage le plus original de Nabokov... un tour de force ahurissant. » Pour faire visuellement écho au thème original/ copie, j’ai ajouté, à l’arrière-plan des autres éléments de la couverture, une version plus grande du portrait de Laura, plus pâle et noir et blanc.

* * *

C’est encore moi qui ai fabriqué l’image de deux fiches censément extraites du manuscrit de L’Original de Laura et prises au chevet de Nabokov par l’infirmière peu scrupuleuse qu’était Suzanne Eggerickx. Pour ce faire, j’ai utilisé une reproduction de quelques fiches authentiquement nabokoviennes publiée dans une revue savante. Après avoir photocopié la photographie des fiches et fait scanner la copie, j’ai manipulé l’image dans Photoshop pour entasser les fiches, changer l’en-tête - les mots « L’Original de Laura » sont à peine déchiffrables en tête de la fiche du dessus - et pour modifier le texte olographe dans le cas fort improbable où quelque spécialiste connaissant les modèles de ces fiches reconnaîtrait les ratures, les blancs, et les ajouts marginaux identiques. En préparant l’image pour le Web, je me suis assuré que le texte lui-même tomberait légèrement au-delà de l’horizon de la lisibilité.

* * *

En février 1999, sur la suggestion de Maxim Shrayer, jeune écrivain, spécialiste de Nabokov et actuellement Professor dans le Department of Slavic and Eastern Languages à Boston College, j’entre en contact avec un certain Sergei Il’ine au sujet de la publication dans Zembla de son mémoire ayant pour titre « Moya zhizn’ s Nabokovym » [Ma vie avec Nabokov]. Il’ine est traducteur de plusieurs des œuvres américaines de Nabokov en russe. Shrayer a fait sa connaissance lors d’un récent séjour à Moscou et pense que « Moya zhizn’ s Nabokovym » serait parfaitement à sa place sur Zembla. Ayant lu une copie du manuscrit qu’il m’a envoyée, je donne mon accord. Vers la fin février, j’entre en contact avec Il’ine pour lui demander la permission de publier son texte en ligne.

Dans sa réponse, qui ne tarde pas à venir et dans laquelle il accepte ma proposition, Il’ine mentionne qu’il a, lui, par le plus grand des hasards, une demande équivalente à me faire. Il y a plusieurs mois, il a lu et s’est laissé duper par l’article de Desommelier. Enthousiasmé par l’aperçu de L’Original de Laura que donne Desommelier, Il’ine a traduit les extraits en russe. Quand il a su que l’article était un faux, il a préparé un article sur l’essai de Desommelier qu’il voulait soumettre à quelques revues littéraires russes. Il me demande si je consentirais à ce que sa traduction russe du canular soit publiée accompagnée de ses commentaires. J’accepte volontiers. J’étais déçu que les revues en question refusent de duper sciemment leur lecteurs - la mystification devrait être présentée comme telle - mais je me réjouissais que Laura soit connue des lecteurs russes de Nabokov dans une traduction faite par la personne la plus compétente pour s’atteler à cette tâche. [11]

L’article d’Il’ine, accompagné d’une photographie de Nabokov devant son lutrin au Montreux Palace en Suisse (où une grande partie de L’Original de Laura aurait été écrite) et d’une reproduction de la maquette de couverture que j’ai fabriquée, et incluant, par ailleurs, sa traduction russe d’un canular précédent beaucoup moins compliqué que j’avais mis sur la liste NABOKV-L en 1994, paraît dans le numéro du 1er avril 1999 de « Ex Libris NG », supplément littéraire à la Nezavisimaya gazeta [12].

Ce même printemps, ayant assisté au Festival Nabokov de Saint-Pétersbourg, Il’ine a mesuré la consternation de quelques-uns des spécialistes russes de Nabokov qui avaient vu sa version russe de l’article de Desommelier.

Quelques semaines plus tard, une variante de l’article est publiée dans Novaia iunost’, qui inclut, en plus du texte intégral de la version russe de l’article de Desommelier, des reproductions du portrait de Laura, des fiches, de la maquette de couverture et deux petites photographies de moi créées à l’origine pour CNN Interactive dans le cadre du projet décrit ci-dessous.

* * *

Pratiquement en même temps que s’inaugurent mes échanges avec Il’ine, en février, je suis contacté par CNN Interactive au sujet d’un projet qu’ils envisagent de publier en avril, à l’occasion du centenaire de Nabokov. Au cours des semaines qui suivent, je sers d’expert conseil pour CNN ; je fournis des informations et les noms de personnes appartenant à la communauté nabokovienne, et je vérifie l’exactitude du contenu du site. En plus, je rédige un bref essai sur la réception de Lolita aux États-Unis dans les années cinquante. Le producteur de CNN qui réalise le projet me demande un portrait photographique pour accompagner l’essai.

En imprimant une copie couleur de la maquette et en la collant à un livre ayant les mêmes dimensions, je fabrique un exemplaire assez plausible de L’Original de Laura, puis je me fais photographier, le livre en main. [13] Le lendemain, je fais suivre deux copies de l’image à CNN (dans l’une d’elles, mon visage est caché par le livre - petite anti-coquetterie de ma part). À la fin du message, j’ajoute « Crédit photo : Michel Desommelier. » La photo, dûment attribuée à Desommelier, paraît avec l’essai lorsque les articles sur Nabokov sont rendus public le 9 avril 1999. L’essai et la photo sont toujours disponibles dans les archives de CNN Interactive [14].

* * *

Un mois plus tard, en mai 1999, on me fait remarquer que Salon.com vient de publier un article par Craig Offman concernant le roman inachevé de Nabokov [15], dans lequel Offman, pour conclure, pose la question : « Les amateurs de Nabokov vont-ils jamais voir le dernier livre de Nabokov ? »

L’adresse électronique d’Offman étant jointe à l’article, je le contacte pour lui dire que la réponse à sa question est « oui, plus ou moins. » Je lui parle du canular et de ses conséquences. L’histoire l’intrigue et, m’ayant demandé des renseignements plus précis sur l’affaire, il écrit un bref article sur le canular qui paraît sur le site quelques jours plus tard.

* * *

En juin je reçois un coup de téléphone d’Andy Lamey, qui se présente comme un journaliste du National Post de Toronto, Canada. Il a lu l’article d’Offman et pense que l’histoire mérite une couverture plus complète. Notre discussion dure une vingtaine de minutes. Je consens à lui envoyer des copies des courriels dont j’ai fait mention, après qu’il me fait remarquer que mon affirmation selon laquelle des spécialistes se sont laissé prendre au canular doit être vérifiée. Je refuse d’abord de révéler les sources des courriels. (Je ne voulais pas embarrasser les personnes concernées.) Lamey n’est pas satisfait des versions anonymes des courriels que je lui envoie (j’en avais fait disparaître les en-têtes et les signatures) et insiste pour que je lui envoie des copies inédites. Je lui expédie donc des copies avec en-têtes et signatures, mais seulement après lui avoir fait promettre de ne révéler le nom du principal auteur que dans l’hypothèse où il pourra lui-même vérifier l’identité de cette personne. En parlant à tous les intéressés, Lamey trouve la personne et son article, qui paraît dans le Post du 3 juillet 1999, est le compte rendu le plus complet qui existe du canular et de ses conséquences jusqu’à la parution de ce texte. [16]

* * *

Le dernier épisode de cette triste saga (on est tenté de dire : de la crédulité, de la flagornerie et du manque d’humour universitaires) se produit vers la fin de l’été 1999, presque un an après la publication de l’article de Desommelier.

Olga Voronina, directrice adjointe du Musée Nabokov à Saint-Pétersbourg, m’expédie pour Zembla une sélection de photographies prises à l’occasion du Festival Nabokov qui a eu lieu à Saint-Pétersbourg en avril. Parmi les clichés, il s’en trouve un de Brian Boyd, qui donne une conférence debout derrière un lutrin avec un microphone fixe. Derrière lui, accroché au mur, se trouve un portrait photographique de Nabokov que l’on doit à Philippe Halsman.

Dans sa main droite, près du coin gauche en bas de la photographie, Boyd tient un livre. En manipulant l’image dans Photoshop, je remplace le livre par un exemplaire de L’Original de Laura, ayant modifié les dimensions et l’orientation de la maquette de couverture que j’avais déjà créée. L’image ainsi retouchée, avec un Boyd sérieux, un Nabokov qui lance des regards noirs, et un livre charmant que personne n’a jamais lu, a été entrée sur le site de Zembla dans une section consacrée au festival pétersbourgeois, où elle se trouve toujours.

* * *

Post-scriptum : Tout à fait par hasard (?), quelques mois après la découverte du canular et le retrait de l’article du site de Zembla, le Nabokovian, revue biannuelle de la Société Nabokov, propose un concours d’écriture pour amateurs de Nabokov (« Nabokov Prose-Alike Contest »), dans le cadre duquel les concurrents sont invités à soumettre leurs essais d’imitation de la prose du Maître. Un comité de juges anonymes sélectionne les propositions les plus convaincantes, et celles-ci sont publiées avec deux extraits authentiques et inédits de Nabokov dans le numéro suivant de la revue. Les lecteurs sont priés de deviner quels extraits sont authentiques et quels extraits sont des contrefaçons.

Lorsque je découvre l’existence de ce concours, je contacte Craig Offman, qui m’avait demandé de le tenir au courant de tout nouveau développement sur le front nabokovien, et lui envoie par télécopie le texte : cinq brefs extraits, trois faux, deux authentiques. Offman me demande si j’ai, moi, une supposition à faire, et je lui dis que, quoique je ne puisse pas en être certain, les extraits 2 et 5 sont vrais, les autres faux. Je lui dis aussi que, d’après les noms de personnes, le rythme de la prose, et mes souvenirs du passage qu’avait lu Dmitri Nabokov à Cornell en septembre 1998, il me semble que les deux extraits authentiques sont tirés de L’Original de Laura.

Offman écrit un bref article pour Salon.com [17] dans lequel je suis cité comme ayant allégué que « les extraits authentiques utilisés dans le concours ont été tirés du roman inachevé et inédit de l’auteur, L’Original de Laura ». L’article poursuit : « Un autre spécialiste qui assistait à la même séance de lecture fait fi de l’observation d’Edmunds : il est plus probable qu’il s’agisse d’un cas d’une « baker’s dozen » (une treize à la douzaine) - des variantes rejetées de différents livres, dit le chercheur. » (Je n’arrive pas à comprendre comment avec deux extraits on peut arriver à une « baker’s dozen ».)

Le numéro suivant du Nabokovian (automne 1999) donne les résultats du concours et du sondage réalisé auprès des lecteurs. On y apprend aussi que « les extraits 2 et 5 sont des passages écrits par VN, tirés de son roman inachevé et inédit, Original de Laura ». Il est dit aussi que « chose étonnante, personne n’est parvenu à distinguer les passages authentiques des imitations ».

Étonnant pour qui, je me le demande.

Postface

Le texte de Michel Desommelier, tel qu’il a paru pour la première fois, en anglais, en septembre 1998, est toujours disponible sur le Web.

Une traduction française du texte de l’essai faite par moi a été entièrement revue et corrigée par Véronique Béghain. Je tiens à remercier Mme Béghain pour son inestimable aide.

Les extraits « nabokoviens » ont été traduits par Gini T. Chartreuse. Qu’elle trouve ici mes plus profonds remerciements pour son excellent travail.

Je tiens à remercier aussi Didier Machu pour avoir écrit une si belle préface.

Jeff Edmunds

1er février 2006
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[1Quoiqu’à cette époque-là la Société Nabokov (fondée en 1978 aux États-Unis) considérait Zembla comme son site officiel, elle ne le subventionnait pas. En 1996, peu après la création de Zembla, D. Barton Johnson, professeur de russe à l’université de Californie à Santa Barbara et ancien président de la Société, a suggéré que le rédacteur de Zembla (c’est-à-dire moi) soit élu membre ex-officio du Conseil d’administration de la Société. De mauvais gré, j’ai accepté. Peu après, à une réunion de la Modern Language Association of America (à laquelle je n’ai pas assisté), j’ai été élu au Conseil. Embarrassé de me trouver parmi des universitaires, et de plus en plus gêné par ce qui m’apparaissait comme un mélange pesant de technophobie et d’égocentrisme - le souci principal de la Société étant de « publier ou périr » et d’attirer des jeunes lettrés dans la bergerie nabokovienne, buts qui ne m’intéressent pas ni l’un ni l’autre - j’ai démissionné du Conseil à l’automne 1998.

[2En effet, lorsque, par la suite, j’ai parlé à Dmitri Nabokov, il m’a dit qu’il pensait que Parker s’était laissé duper.

[3Boyd a dit au journaliste Andy Lamey (du National Post au Canada) qu’il s’est senti « blessé » par la mise en scène d’un « homme agonisant, réduit à l’impuissance », abusé par son infirmière. Le scénario est en effet grotesque, mais il a été en partie inspiré par le titre de travail que Nabokov employait pour le roman, Dying is Fun (Mourir est amusant). Dans sa biographie critique de l’écrivain publiée en 1944, Nabokov lui-même s’est montré peu délicat en décrivant le décès de Nicolas Gogol : « ...le Dr Auvers (ou Hovert) fit plonger son patient dans un bain chaud tandis qu’on lui aspergeait la tête d’eau froide, après quoi on le coucha et lui posa une demi-douzaine de grosses sangsues sur le nez. Il avait gémi, pleuré et s’était faiblement débattu lorsque son corps misérable (on devinait ses os sous la peau [cette image encore]) avait été placé au fond du bac en bois ; allongé nu sur son lit, il tremblait et ne cessait d’implorer qu’on lui enlevât les sangsues : celles-ci pendaient à son nez et entraient dans sa bouche (enlevez-les, éloignez-les, suppliait-il) et comme il tentait de les décoller, le robuste assistant de Auvert (ou Hauvers) dut lui tenir les mains. » (p. 14). Dans le paragraphe suivant, Nabokov admet que « Bien que cette scène présente un caractère rebutant et suscite un sentiment humain que je déplore, il est nécessaire de s’y attarder un peu plus longtemps afin de faire valoir le singulier aspect physique du génie de Gogol » (p. 15).

[4Émigré célèbre au mépris affiché pour le communisme, Nabokov était jusqu’en 1986 un auteur proscrit en Union Soviétique. Ces dernières années ont vu paraître un nombre important d’éditions russes, autorisées ou pas, de ses œuvres. Comme j’allais l’apprendre par la suite, les extraits du canular ont été, en effet, repris et traduits en russe par un des traducteurs des œuvres américaines de Nabokov.

[5Dmitri Nabokov a fait un discours impromptu le dernier jour du Festival, qui a eu lieu du 8 au 12 septembre 1998 à Cornell University, dans l’État de New York, au début duquel il a lu un bref (et, présume-t-on, authentique) extrait de L’Original de Laura. Je n’aime pas les colloques, et pendant celui-là je m’ennuyais après tant de conférences savantes, j’avais faim, j’avais besoin de faire pipi - ce qui me mettait mal à l’aise et me rendait nerveux. Je ne peux donc pas me souvenir de la formulation exacte du passage lu, mais je retiens une image très claire évoquée par le texte : l’abdomen nu d’une femme et les os de la hanche sous sa peau. C’est cette image qui m’a poussé à choisir pour l’épigraphe de l’article de Desommelier une citation de « Laure » (Collette Peignot). Le fait que Dmitri Nabokov avait fait référence à L’Original de Laura quelques semaines seulement auparavant m’offrait une parfaite occasion de faire paraître l’article de Desommelier, préparé pourtant longtemps auparavant.

Tout spécialiste de Nabokov sait que l’auteur voulait que les extraits de L’Original de Laura soit détruits lors de son décès (Boyd me rappelle ce fait dans son premier message), et que, de son vivant, Nabokov a déploré l’utilisation ou la mise en circulation de textes que l’auteur lui-même n’avait pas l’intention de publier. On est donc en droit de se demander ce que Nabokov trouverait le plus répréhensible : une personne qui dupe les universitaires avec une mystification compliquée ou un exécuteur littéraire qui lit en public des extraits d’un manuscrit inachevé et inédit.

[6« Eggerickx » trouve son inspiration dans l’allitération « ovoïde » du nom mentionné par le narrateur au début du premier roman anglais de Nabokov, La Vraie Vie de Sebastien Knight, Olga Olegovna Orlova (« egg » signifie œuf en anglais). En plus, comme je l’ai expliqué à Monsieur Nabokov, je trouve l’inhabituelle combinaison « ckx » (rencontrée le plus souvent dans les noms belges) visuellement attachante. « Desommelier » est d’une origine plus vague. Ayant déjà monté deux canulars aux spécialistes de Nabokov (via la liste NABOKV-L), je voulais choisir un pseudonyme que personne ne reconnaîtrait comme tel. Ça ne pouvait donc pas être un anagramme, un calembour multilingue, ou un autre nom dans lequel les spécialistes flaireraient la supercherie. J’ai choisi Desommelier plus ou moins au hasard, ne connaissant pas le sens de « sommelier » en français.

[7Cf. « L’infini intérieur » dans Formules no 9, pp. 279-288.

[8Nabokov a fait paraître ses oeuvres russes sous le nom de V. Sirine, en partie pour ne pas être confondu avec son père, Vladimir Nabokov lui aussi, homme d’État et essayiste distingué.

[9Ce pouce, un des éléments les plus importants du tableau, a été retravaillé plusieurs fois par Manet. Tout comme le pouce de « Laura », il se trouve presque, mais pas tout à fait, au centre de la toile. À noter aussi qu’un pouce, ou plutôt son absence, joue un rôle mineur dans le deuxième extrait cité par Desommelier.

[10Kinbote, chercheur indépendant dont le nom est connu de tout lecteur de Nabokov, se trouve lié à Zembla depuis le lancement du site le 1er décembre 1995.

[11Ou presque. La plus compétente est morte.

[12Sergey Il’in, « Podlinnii prizrak. Koe-tchto o nikem ne protchitannoi knige Vladimira Nabokova » [Un fantôme original : quelques mots sur un livre de Vladimir Nabokov que personne n’a lu], ex libris NG, 1er avril 1999, p. 3.

[13Par mon père, qui possède un appareil photo numérique et qui partage avec moi le goût de l’espièglerie inoffensive. Ma mère, qui est graphiste et qui a fabriqué l’exemplaire du livre apparaissant dans la photo en fixant une version imprimée de la maquette de couverture à un livre broché, a une aversion quasi-superstitieuse pour les farces, même inoffensives, et nous a servi de complice seulement à contrecoeur.

[14Jeff Edmunds, [« Lolita : Complex, Often Tricky, and ’A Hard Sell’ », 09/04/99.

[16Andy Lamey, « Mimicking the Master of Deception », The National Post (Toronto, Canada), July 3, 1999, p. B11. En discutant du canular avec Lamey, Brian Boyd lui a dit que l’un des résultats de ma conversation avec Monsieur Nabokov était que ce dernier ferait l’éloge du canular et que, moi, je ne révélerais pas le fait qu’il en avait été dupe. Comme l’a affirmé Lamey dans un courriel daté du 19 juin 1999 : « Boyd m’a dit qu’un des résultats de votre coup de fil avec Dmitri Nabokov, c’était que Dmitri louerait publiquement la qualité de votre canular, tandis que vous vous garderiez d’ébruiter l’ampleur de son erreur. » Les détails de la conversation qui a eu lieu entre Nabokov et Boyd me sont totalement inconnus, mais prétendre qu’il existait un tel accord est absurde, comme je l’ai dit à Lamey quand il l’a évoqué. L’opinion de Dmitri Nabokov sur le canular m’est indifférente, et il m’a semblé dès le début que son vif désir d’apparaître comme ayant été « amusé » par le canular n’était qu’un moyen astucieux de laisser entendre publiquement qu’il n’en avait pas été dupe, alors qu’en fait, il l’avait certainement été, même si ce n’était que fugitivement.

[17Craig Offman, « Nabokov Write-Alike Contest Made Hide Genuine Article », 28/06/99.