L’Art à l’épreuve du lieu (dir. Dominique Berthet)

Le chercheur Dominique Berthet consacre depuis de nombreuses années une partie de ces recherches à interroger le monde caribéen et à nourrir un dialogue entre les pensées et les artistes venant des différents horizons du globe. La Martinique est une bonne vigie. C’est là qu’il a installé son centre de recherche (le C.E.R.E.A.P) et qu’il nourrit sa revue Recherches en esthétique et qu’il organise chaque année un colloque, traversé par les problématiques de l’espace caribéen. En 2001, le colloque « Marge(s) et Périphérie(s) » s’est donc tenu à Fort-de-France, en marge d’un « espace réputé du centre » pour reprendre les propres termes de Dominique Berthet. Publié fin 2004 sous le titre L’Art à l’épreuve du lieu chez L’Harmattan (collection Les arts d’ailleurs), le volume regroupe de nombreuses contributions passionnante.

Dominique Berthet ouvre le volume en interrogeant la question de la marge chez André Breton (et sa géographie non-occidentale) ou chez Jean Dubuffet (et les moyens de sortir de la Culture).
Plus loin, Dominique Chateau évoque les typologies philosophiques des notions de « mondes » et de « marges » pour glisser vers l’art « d’avoir l’esprit ailleurs » c’est-à-dire une « intrication du dedans et du dehors ».

Les artistes Alexandre Cadet-Petit et Monique Monteuil dialoguent sur le rapport entre le centre et la périphérie à partir d’un double mouvement du regard de l’autre, occasion d’évoquer l’histoire de la représentation créole ainsi que celle des artistes de La Martinique et de la Guadeloupe.

Cette question est prolongée par Patricia de Bollivier qui profite d’une étude sur le travail du plasticien réunionnais Wihliam Zitte pour parler de l’histoire et des structures d’apparition de l’art à la Réunion.

Laurette Célestine analyse pour sa part dans son article la vision franco-centrique de la représentation de l’Indien d’Amérique dans la littérature française.

Il y a également Jean-Georges Chali qui évoque l’évolution sociale et politique des marges et des périphéries à l’intérieur du monde caribéen, et qui ouvre son analyse à la littérature caribéenne et au thème de la ruralité et de l’urbanité dans les œuvres de Joseph Zabel, Jacques Roumain, Vincent Placoly, Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau.

Il faudrait encore parler de la contribution de Giovanni Joppolo et des réflexions de Sophie D’Ingianni, de Valérie John ou de Bruno Pédurand qui contribuent largement à cette vie intellectuelle martiniquaise. Mais on préférera conclure en laissant les derniers mots à l’artiste martiniquais Ernest Breleur :

« Cette langue engendrée [la langue créole], est la manifestation d’une errance active. Il en résulte un métissage, c’est la langue de la marge et de ceux qui sont en marge de l’époque. Elle emprunte des chemins qui conduisent à la marge, qui se distingue de l’unicité, du calcul exact ou de toute pensée logique pour favoriser la résistance, le marronage, la subversion. Cette langue est celle de la différence, des détours, des volte-face et d’une pensée adventive.
C’est dans cette langue aussi que les traces survivent, subsistent. Les traces de l’Afrique. La marge préserve en même temps qu’elle est cet espace où survivance et nouveauté coexistent. La marge est une espèce de territoire de repli et d’attaque, où les stratégies pour empêcher toute dilution, se conçoivent. »

5 mars 2005
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