La Disparition, chapitre 3
Chapitre 3
L’immeuble, récent, donnait d’un côté sur l’avenue qui traversait la petite cité balnéaire. De l’autre côté, vers la mer, même si une part importante des fenêtres avaient vue sur un parking en contre-bas. Au-delà de cet espace et tout autour du bâtiment un ancien terrain de pins maritimes. Où visiblement le promoteur projetait de nouveaux chantiers. Des banderoles de plastique traçaient l’emplacement de futures fondations.
Le bâtiment était oblong et on pouvait y entrer par plusieurs portes. Numérotées de A à C, avec des noms de vacances au bord de la mer : A L’Estran ; B Les Goélands ; C Equinoxe. Nous devions prendre le bâtiment B au troisième étage face à la cage d’escalier. Je trouvais le constructeur peu inventif, tout cela sentait un peu trop sa construction de vacances qui rapporte, construction bon marché, murs en béton crépit, comme un pavillon tout en longueur ou immeubles d’habitation de banlieue. Ce qui sauvait tout, c’est la mer à proximité. Leur appartement fort heureusement ne donnait pas sur l’avenue mais sur l’arrière où certes se situait le parking mais suffisamment peu visible du troisième étage. Cela devait être calme. On a sonné à l’appartement n° 33 et Pierrot est venu nous ouvrir. On sentait des effluves culinaires. La voix d’Huguette derrière le bar de la cuisine américaine nous a accueillis. Nous nous sommes avancés dans l’appartement et j’ai déposé nos boissons sur la table ainsi qu’un stock de chips ou autres gourmandises salées que les garçons avaient amoureusement choisis au Super U. Jacques était sur la terrasse avec un barbecue électrique branché par une rallonge qui se raccordait à une prise du salon. Tout le monde s’est salué, se faisant la bise rapide à la manière de personnes qui se connaissent très bien depuis longtemps. Du balcon on pouvait voir la bande bleue de la mer, qui tranchait sur le bleu plus pâle du ciel. L’œil s’accrochait à ces géométries de l’horizon, à ces à-plats de la nature quand tout autour, ce n’étaient que toits, barrières, murs, fenêtres, grilles de terrains de tennis anciens et défraîchis. Des chemins pédestres passaient entre les propriétés et se dirigeaient tous vers la mer, quel que soit leur point de départ. Pendant que la viande grillait, on entendait des balles de tennis aller et venir sur des revêtements artificiels, produisant des sortes de cris d’animaux résignés, plaintes qui s’accordaient avec celles de la viande en train de cuire. On ne situait pas le terrain d’où ces bruits échappaient. Ils arrivaient déjà assourdis.
Quand nous avons quitté les lieux, le soleil venait de passer sous la mer. Mais il ne faisait pas encore nuit. C’est l’heure d’indécision entre un reste de lumière et l’obscurité, l’heure du réalisme magique, où rien n’a un sens défini et entier. Le crépuscule peut aussi être l’aube. Et la signification de ce qu’on voit peut basculer dans son contraire. Je sortais de ce barbecue l’esprit troublé. Sous des dehors normaux, le couple que formaient Huguette et Jacques me mettait mal à l’aise. Son humeur liée à sa toux pendant la visite de l’atelier, ne s’étaient pas dissipée. Et Jacques sur-jouait visiblement la décontraction et la bonne humeur des vacances. Les échanges au cours du repas sonnaient faux. Mis à part le sujet des enfants, rien ne semblait authentique. Pierrot rentrait en 5e en septembre dans un collège de leur quartier. Et était brillant, sans qu’ils aient à s’occuper de quoi que ce soit. Jusqu’ici cela les ébahissait toujours. Ils étaient fiers. Simplement. Moi, je me plaignais d’un Damien dilettante, intelligent mais peu motivé par la classe et ses apprentissages. Sous surveillance permanente de ses parents. Quand sommes rentrés chez nous, je revoyais des images de la soirée. Lui arborant ses saucisses grillées à point. Elle en retrait, se contentant de le regarder faire et parler.
Et puis il y a eu ce moment où elle s’est excusée pour aller prendre une douche, prétextant la chaleur de la journée et les huiles de cuisine. J’en ai profité pour aller aux toilettes. Les deux pièces sont côte à côte dans le couloir. Et il m’a semblé l’avoir entendu pleurer sous la douche. Pleurer sous la douche : on pense qu’on n’est pas entendu à cause de l’écoulement de l’eau. Mais il y a les petits gémissements, les reniflements.
Quand elle est revenue les cheveux mouillés et peignés. Elle souriait.
En partant, nous les avons invités à la maison pour un prochain repas. J’espérais qu’Alexandre serait là avec la mère de Paul. Ils devaient arriver en début de semaine suivante. J’ai donc proposé le mercredi soir. Et j’ai précisé qu’il y aurait mon mari et ma belle-sœur. Je pensais qu’elle m’aiderait, elle qui est une vraie fée du logis. Cela me reposerait de ces 15 jours passés seule avec les garçons.
Dans le salon, j’ai vu que le téléphone clignotait, signe d’un ou plusieurs messages. Et mon portable à côté, déchargé. Je me suis maudite de ma distraction habituelle. J’ai écouté la voix après le bip habituel : « Ma chérie, j’imagine que ton portable n’a plus de batterie. J’essaye donc le fixe. Mais tu n’es pas là non plus. Je dois reporter d’une semaine le début de mes vacances. Je ne viendrai donc que le week-end prochain et non en début de semaine comme convenu. Un problème majeur dans le lancement d’un de nos satellites. Tout le monde est sur le pont. Ce sont des dizaines de millions de dollars qui sont en jeu. Je suis vraiment désolé. J’espère que Solange pourra venir comme prévu. Je vais l’appeler et essaie de la joindre de ton côté. Je t’embrasse très fort. Vraiment je suis désolé, tu me manques. Je t’aime. Je te rappelle demain. »
Je me suis affalée sur le canapé, fatiguée et déprimée. Pour peu j’aurais moi aussi pris une douche pour pleurer. J’ai pensé que le mieux était de s’organiser une sortie imprévue pour passer le temps de l’attente. Pourquoi ne pas aller dans les îles ? Les garçons avaient fini de se brosser les dents et je passai leur dire bonne nuit. Avant de m’écrouler au lit, épuisée, alors qu’il n’était que dix heures et demies du soir, en été.