« Le roman est le socle de la réinvention du monde », Patrick Roegiers

À paraître en février 2014, La traversée des plaisirs, escapade littéraire
(éditions Grasset).
Le bonheur des Belges, roman,
sort au Livre de Poche en janvier 2014.

Patrick Roegiers sur le site des éditions du Seuil,
sur liminaire de Pierre Ménard : L’artiste, la servante et le savant.


 

Écrire un roman : cette forme s’impose-t-elle à vous ou est-ce une décision prise pour tel livre ? une fois pour toutes ?
La décision d’écrire un roman est unique. Si je décide d’écrire un roman, ce ne peut être qu’un roman. La forme du roman s’impose peu à peu. Avant, je voulais que la structure (ou l’architecture) soit apparente. À présent, je cherche la rapidité, la fluidité et même la légèreté. Le roman trouve sa forme comme j’ai choisi d’écrire sous cette forme unique.


Que demandez-vous à un roman en tant que lecteur ? En tant qu’auteur ? Sont-ce les mêmes choses ?
Dans un roman, je cherche la rencontre avec une écriture. Une thématique, des obsessions, un langage propre à l’auteur du roman que je lis. Longtemps, j’ai voulu écrire des romans qui ne soient qu’écriture. C’est le cas de Le cousin de Fragonard où je m’amuse à reconstituer fictivement l’écriture du XVIIIe siècle. Ou dans La Nuit du monde qui met en présence Proust et Joyce. Comment camper deux écrivains aussi monumentaux sans mimétisme. L’écriture, dans ce cas, est la forme même du roman. Ce qui n’empêche ni la dramaturgie, ni la structure interne, de moins en moins apparente.


Avez-vous fait des incursions dans d’autres formes littéraires et si tel est le cas, cette expérience a-t-elle servi d’une façon ou d’une autre dans l’écriture du ou des romans suivants ?
Oui, bien sûr. J’ai commencé par des essais. Sur Lewis Carroll, Diane Arbus et Bill Brandt. Ces livres m’ont appris à organiser ma pensée à partir d’œuvres existantes. J’ai aussi rédigé de très très nombreux articles (cinq cents sur la photographie dans Le Monde). Je n’ai écrit mon premier roman (Beau regard) qu’à quarante ans. Je fais toujours un plan avant d’écrire, je prends des notes, parfois durant des années. Je rêve beaucoup autour du sujet prévu, je lis énormément. Et puis j’écris. Ce que j’aime le plus à présent, c’est que le roman m’échappe. Qu’il trouve sa forme propre. Qu’il n’obéisse à rien de tout ce que j’avais pensé. Ou prévu.


Écrire un roman au XXIe siècle vous semble-t-il difficile ou évident ? En d’autres termes vous paraît-elle dépassée ainsi qu’on l’entend souvent ?
Non, le roman n’est en rien dépassé. Pas plus que le tableau du peintre ou un film. C’est le genre littéraire le plus autonome, le plus riche et le plus plein. Le roman est le lieu même où l’imaginaire se déploie. Le roman est le socle de la réinvention du monde.


Dans vos lectures, y a-t-il surtout des romans ou trouvez-vous votre « nourriture » plutôt ou autant dans d’autres genres de livres - et si tel est le cas, lesquels ?
Je lis beaucoup de romans que je décortique pour voir leur fonctionnement. Le sujet ne m’intéresse pas. Je déteste l’autofiction. Je lis beaucoup de biographies et beaucoup d’essais de science humaine ou d’histoire. Je lis énormément de livres touchant au thème du roman que j’écris. Actuellement, j’écris un roman sur le rexisme (ou fascisme) des années 40. C’est une époque que je connaissais mal. J’adore cette plongée dans une matière inconnue dont je me nourris avec intérêt et même voracité. Lorsque j’ai assez de matériau, je cesse de lire. Et je me mets à écrire. Mais je ne lis jamais de romans ou de fictions traitant du thème que j’aborde.


Que privilégiez-vous dans l’écriture d’un roman ? Une action, des personnages, une forme, un point de vue ?
La forme, les personnages, l’action (dûment planifiée), le point de vue importe peu. Je n’écris pas de romans à thèse et ne veux jamais rien démontrer.


P.R.


19 janvier 2014
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