Le voyage poétique de Dominique Sorrente

A l’automne dernier, Dominique Sorrente [1] a publié chez la toute jeune maison d’édition MLD, qui fait de bien beaux livres, une anthologie de ses textes, sous le titre Pays sous les continents /un itinéraire poétique /1978-2008 [2].
Dans « Célébration de l’île », un extrait de La Lampe allumée sur Patmos, Sorrente écrit :

Nous sommes partis, il y a de cela si longtemps ; jamais nous ne nous sommes arrêtés.

Et ce verset, comme aussi bien le titre de ce poème en prose, trace, en nommant le voyage et l’île, le cadastre des espaces ouverts dans lesquels cette vie en poésie à la fois s’affirme et se cherche.
Quelques pages plus loin, il écrit encore :

Nous progressons au cœur d’une désolation, avec nos pendentifs, notre impatience à tous les vents. Notre pas connaît mal ses détours. Nous voulons être distraits et attentifs, sous tant d’évidences stériles qui nous enfoncent dans le chemin. Autour des tables, parmi les résinés, nous jouons avec la stupeur de ne rien comprendre.

Ce texte a été publié [3] il y aura bientôt trente ans. Et il me semble que rien, si ce n’est peut-être le mouvement charien de cette prose poétique à l’égard de laquelle Sorrente a pris ses distances, cette anthologie le montre, rien, donc, n’est à renier pour lui de la tension entre des éléments qui se contrarient et qui forment la trame parfois déchirée du poème, rien de l’étonnement devant les énigmes.

De cette fidélité-là témoigne ce beau livre, comme d’une querelle jamais close, mais qui jamais non plus ne s’appesantit sur elle-même.
Au contraire, c’est la marque de l’écriture de Sorrente, qu’elle puise dans le choc que provoquent, dans ses images, le vis-à-vis d’objets hétérogènes souvent très quotidiens, quelque chose comme un humour insolite, une grâce légère et étrange, qui porte encore plus haut la gravité et l’inquiétude dont le poème, l’écho le plus juste de la vie risquée, fait l’expérience.


Ce que dit encore cet extrait de Lettre du passager [4] :

J’en suis là,
homme du moment,
du livre en blanc sur la tablette
qui me parle sans que je l’ouvre,
je suis né vers la phrase
encore secrète d’un monde en fuite,
j’écris au retour de Nevers
sur la descente vers Marseille
avec un soleil précaire pour témoin.

Une promesse vole devant les yeux.

Alors tu lâcheras un jour
la paroi, dit-elle,
et ce qui creuse à l’intérieur
te montrera
tel que tu es
comme un jour que tu ne sais pas.

A mille endroits,
à mille envers de ma disparition,
j’écris
comme l’énigme d’un malgré moi,
ce qui ne me ressemble pas encore.

Jean-Marie Barnaud

2 avril 2010
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[1On sait que Sorrente anime, depuis dix ans, à Marseille, l’association Scriptorium qui publie ce mois-ci, pour fêter ses dix ans d’existence, un « ouvrage collectif, Portrait de groupe en poésie, évocateur d’une décennie d’aventure poétique au lieu-dit Le Scriptorium. »
Voir ici, sur remue.net une présentation de Dominique Sorrente.

[2Anthologie préfacée par Jean-Marie Berthier.

[3Cheyne éditeur, 1982.

[42008.