« Les mots viendront sur la page avec leur corps »

Neuf séances d’atelier d’écriture en parallèle avec dix séances d’atelier-danse dirigées par la chorégraphe Claire Sauvajon (Compagnie Costes Sauvajon).

« Ce n’est pas ce qu’elle dit qui est important, mais ce qu’elle fait. » Cette phrase de Meschonnic sur la poésie, essentielle à mes yeux, qui ne voit qu’elle convient parfaitement à la danse aussi ? Quand Céline Baliki m’a proposé cet atelier, je n’ai donc pas hésité : la poésie et la danse sont bien sœurs de provoquer chez celui qui l’exerce un engagement de son corps qu’il invente au fur et à mesure en l’éprouvant. Faire acte de vie dans l’intensité d’une présence.

« Les mots viendront sur la page avec leur corps » (séance du 18 novembre 2005)

Pour désencombrer chacun des enfants de tout ce qui n’est pas présence à soi, je leur ai demandé, puisque nous étions au CDI, de se diriger vers les étagères, de prendre un livre, de le feuilleter puis de le remettre à sa place. « Avez-vous pensé à votre corps ? » leur ai-je alors demandé. La réponse a été bien sûr négative. Ce qui m’a permis de leur dire à quel point dans la vie quotidienne nous faisons agir notre corps en l’oubliant sans cesse. Pour bien leur faire sentir ce que c’est qu’un corps auquel on pense, nous avons ensuite levé un bras pour rien, seulement pour avoir la pensée de ce bras. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir poussé un peu plus longtemps l’expérience, de ne pas ensuite leur avoir fait alterner gestes utilitaires et gestes « gratuits » pour mieux percevoir la différence, et pour finir nous aurions pu essayer d’accomplir les premiers en les dansant, pour élargir la gamme du corps conscient, comme le font depuis longtemps certains chorégraphes. J’aurais pu aussi faire le parallèle à ce moment-là avec le poète qui se réapproprie sa langue. Mais sur le moment cela m’a semblé prématuré et j’ai préféré enchaîner, pour intérioriser ce que nous venions de faire, sur une deuxième proposition physique : mouvoir ses bras ou plus sur un mouvement lent de Bach interprété par Glenn Gould, en fermant les yeux pour être le plus possible avec la musique pénétrant en soi. J’avais justement choisi ce pianiste pour sa façon d’accompagner la musique en chantonnant. Mais je me suis vite rendue compte que l’obscurité aurait été nécessaire : rares étaient les enfants qui ont joué le jeu, la plupart étaient relativement paralysés par le possible regard des autres, et sans doute le mien surtout ! Je leur ai alors dit qu’on pouvait sentir son corps par très peu de choses : la sensation de son poids, de ses paupières sur ses yeux…et j’ai laissé la musique jusqu’au bout dans la mesure où aucun d’eux ne s’agitait, et aussi pour cette beauté qu’ils ont si peu l’occasion d’entendre.
Ensuite, avant de passer à la poésie, je leur ai montré deux extraits vidéos, pour compléter l’implication de leur corps réel dans l’espace lors de l’atelier avec Claire la semaine précédente par l’expérience de spectateur – essentielle pour libérer en eux un corps intérieur qui est celui qui agit en poésie sur la page. Pour commencer, un passage de la chorégraphie Rona par la compagnie africaine Boygie Cekwana, dans lequel les danseurs sont tout d’abord assez figés, comme hésitants, puis s’impliquent , s’imposent de façon de plus en plus marquée dans des enchaînements. Par cet extrait je voulais leur dire à quel point on n’est pas enfermé dans son corps dès qu’il se déplace, se meut ; que se sentir vivant, c’est le but essentiel de la danse autant que de la poésie, et non pas de « faire joli », grande envie des enfants de cet âge souvent, et que ne fait jamais cette chorégraphie. Lors de la petite discussion qui a suivi, les enfants se sont montrés désarçonnés par des éléments de costumes ainsi que par les coiffures, ce qui m’a permis d’aborder, pour commencer à préparer la vision d’un spectacle prévu en mai, de la nécessité pour un créateur de donner une cohérence propre à chaque œuvre par des choix convergeants. Nous avons vu ensuite un extrait d’un documentaire où la danseuse- chorégraphe Dominique Hervieu explique en le montrant ce que c’est que de chercher des mouvements où l’on se sent bien, d’élaborer une sorte de personnage rythmique, ce qui m’a amené à faire le parallèle avec les poètes, avec cette différence qu’alors ce ne sont plus des gestes qu’ils vont aimer plus que d’autres, mais des mots. J’ai poursuivi ce parallèle par la comparaison entre l’espace, la scène – la légère plongée de la prise de vue favorisait d’ailleurs cette perception de l’importance du sol où le danseur se déploie – et la page où le poème va se poser.
Pour illustrer ce fait que pour le poète les mots sont des amis, qu’il a ses préférés, je leur ai lu ce poème en hommage à la neige, conçu à partir d’un extrait simplifié de mon recueil Les Miettes de décembre :

J’ouvre les yeux
Car la neige m’a réveillée
Dehors et dedans

J’ouvre la fenêtre
Je vois la neige
Elle me demande de marcher

Les mots aussi trouvent la page, forment
Les pas dans la neige, le sang petit à petit

Alors je sors pour aller dans mon rêve

La neige danse mais elle ne tombe pas
Même s’ils sont serrés les flocons ne se cognent pas
Ne se font aucun mal

La neige est le cadeau qui enveloppe la terre

À partir de là, j’ai lancé des consignes d’écriture : tout d’abord choisir un ou deux mots aimé(s). J’ai hésité à leur demander d’éviter les mots abstraits, dont je me méfie toujours pour les poèmes, mais comme je n’étais pas sûre qu’ils constituaient un risque véritable vu les consignes, je n’ai rien dit. L’objectif était d’écrire un poème où le mot choisi parlerait, comme un être vivant avec un corps, et nous informerait de ces points suivants :

— où il a envie d’être ou d’aller sur la page :
au bord de la page/ au milieu ?
en haut/ en bas ?
partout/ à un seul endroit ?
devant/derrière ?
— comment sont ses gestes ou son corps :
lourd/léger ?
couché/ debout ?
rond/droit ?
courbé/ redressé ?
tendu/relâché ?
coloré ? quelle couleur ?
long/ court ?
large/serré ?
continu/saccadé ?
— comment il se sent, ce qu’il ressent :
chaud/froid ?
calme/inquiet ?
fatigué/énergique ?
seul/accompagné ?
Les termes des consignes n’étaient pas donnés pour être forcément recopiés mais pour donner des idées. Avant qu’ils se lancent, je leur ai lu des poèmes que j’avais imaginés pour l’occasion :

La neige dit :

Quand j’arrive je suis partout
Moi qui suis aussi blanche que la page
Même quand vous la retournez
Je suis devant et je suis derrière

Le château dit :

J’ai besoin d’un seul endroit sur la page
Mon ombre sera très grande
Surtout si elle se penche

La fleur dit :

Si je plante ma tige quelque part
Je pourrai essayer ailleurs aussi ?
Il y a tellement de blanc !

Ces consignes m’ont été inspirées par ce passage du très beau livre de Patrick Laupin Le Courage des oiseaux, quand il propose à des enfants « d’écrire sur la manière dont on perçoit les mots en soi. Est-ce qu’ils ont froid, est-ce qu’ils ont peur, est-ce qu’ils sont loin, est-ce qu’ils ont faim ? ( …) » (p.227), ce qui avait donné lieu à cette belle phrase d’une petite fille : « Oh mon dieu, qui pourrait le dire si les mots ont un corps » (p.228). Mais comme on le voit, je voulais surtout, en raison de mon travail commun avec Claire, que les mots aient un corps dans leur façon d’appréhender la page comme un espace où se sentir vivre.
Certains enfants ont appliqué assez aisément ces consignes, choisissant des mots plus ou moins inattendus par rapport à mes propres poèmes ou ce dont nous venions de parler :

La danse dit :

Comme j’aime bouger !

Il y a tellement d’espace
Je vais en profiter
Et ce serait vraiment dommage
De rester plantée dans un coin

À droite, à gauche, en haut, en bas
Ne vous inquiétez pas
Je n’y manquerai pas ! (Adewumi)

Le flocon de neige dit :

Quand je me présente
J’arrive au milieu de la page
Je suis aussi blanc qu’elle

Plus ou moins gros
Mais je ne suis jamais seul
J’ai des amis comme moi

Je ne veux pas être
Trop près d’eux
Car on se colle

Nous sommes légers, tous debout
Puis couchés et très calmes
Mais aussi énergiques
Aussi droits
Qu’un beau livre (Mélissa)

Autant Adewumi avait présenté son poème de façon compacte, autant Mélissa l’avait déjà pensé en strophes. (Par contre, j’ai substitué le pluriel au singulier dans sa strophe finale afin de rendre plus convaincante la magnifique image finale). J’ai en effet tendance à proposer aux élèves des découpages en strophes, quitte à ce qu’ils reprennent la disposition originelle finalement, afin de les rendre sensibles aux pouvoirs du blanc sur le poème, qui le rend plus fécond en créant une dynamique interne, donnant l’impression que les vers s’attirent ou se repoussent selon les cas. Il met aussi en lumière des oppositions, des reprises ou des variations comme dans ce poème d’Ahmed, dont j’ai isolé les deux derniers vers en distique :

L’ami dit :

J’ai envie
D’être petit et mince
Au bord de la page
Pour laisser
De la place aux autres

Accompagné d’une envie :
Vivre et revivre.

Ce que je peux apporter aux enfants en leur rapportant leurs poèmes ainsi tapés, c’est une expérience de lecture, de relecture de leurs propres textes. Le désir d’écrire se nourrit de découvrir la force neuve des mots qu’ils ont mis sur la page. Ce petit garçon m’a d’ailleurs proposé un autre poème qui m’a confirmée dans la liberté que je leur avais laissée de pouvoir prendre un mot abstrait pour ce travail :

L’espoir dit :

Je suis grand partout
Calme et inquiet
De disparaître
Sans réapparaître
Sur la page

La disposition de son poème est très proche de celle qu’a trouvée pour le sien Younès, auquel il faudra que je demande si le remarquable jeu de mot final a été conscient ou pas. Tout aussi remarquable est le refus de Younès de la majuscule en début de vers, sauf pour le premier. J’aimerais aussi l’interroger sur ce choix formel, tout à fait cohérent avec son propos.

Le nuage dit :

Moi nuage j’habite
dans le ciel
de la feuille
je m’y cache
sans arrêt
pour qu’on
ne me
trouve
point

Inversement, d’autres enfants ne pensent à aucune mise en vers, comme Michaël dans ce poème que j’ai redécoupé en vers moins aléatoires que les siens : il avait écrit son texte dans un angle de la feuille , de biais, et allait donc à la ligne seulement quand il n’avait plus de place. Je me souviens aussi que durant son travail cet enfant était très anxieux de ne pas bien comprendre mes consignes, il est souvent revenu vers moi pour que je les lui réexplique, et il était visible que c’était important pour lui. Or, même si à chacun de ses retours je constatais qu’il progressait vraiment sur la piste proposée, ce n’est qu’en tapant son poème, une fois chez moi, que j’ai réalisé à quel point celui-ci est fort et abouti. Mais là encore, j’ai eu envie de faire ressortir la structure existante de son poème en faisant des trois derniers vers une strophe à part.

Le vent dit :

Je ne peux pas habiter sur la page
Car je suis étendu sur la terre
.
Je n’ai pas de corps ni de tête
Moi le vent je suis désespéré
Car je ne peux pas habiter dans une page
Je suis partout sur la terre
.
Je suis très léger
Mais je n’ai pas de couleur et de maison.
Je n’ai ni chaud ni froid
Mais personne ne peut me voir.

Si j’étais sur une page
J’aurais moins à souffler
J’aurais une maison.

Quant à Kellil, il a su être sensible aux possibilités offertes par les emplacements sur la page, comme on le voit ici à la fin de la 2° strophe (mais là encore le découpage strophique vient de moi). En ce qui concerne le début du texte, la longueur croissante des 3 premiers vers vient de lui, mais j’ai pris l’initiative de d’allonger encore le 3° vers en lui adjoignant le 4°, pour éviter une perte de cet effet croissant en fin de strophe :

Le ciel dit :

Je suis très vaste
Je m’étale sur toute la page
Sur elle je suis comme une énorme tache au milieu de sa blancheur

Léger et couché
Je suis bleu, large et je me sens bien
Je suis très lourd tout en étant très
      léger

Je m’amuse sur cette page immense
On peut la retourner c’est encore plus grand
J’ai une superbe vue sur tous les bords

Le manuscrit de Kellil était en réalité multiple car il a recommencé plusieurs fois son poème sur une nouvelle feuille à chaque fois, le poème ci-dessus en est une synthèse que je propose mais qui n’est peut-être qu’une étape parmi d’autres. En effet, je n’ai pas réussi à intégrer ce vers qui a retenu mon attention quand j’ai regardé une dernière fois ses feuillets : « Parfois, je suis bleu, puis noir, puis rose ».Je ne sais pas ce que noue en ferons à la prochaine séance : un poème plus long et plus complexe, un deuxième en plus du premier ? En tout cas, c’est bien la preuve qu’il vaut mieux garder tous les brouillons car créer c’est aussi explorer des possibles en tentant des agencements.
Autant le travail sur la longueur des vers, parce qu’elle concerne la respiration et touche donc à la voix, si essentielle à la poésie, est intéressant et ouvre d’ailleurs à de multiples combinaisons, autant le jeu sur la taille des lettres me semble plutôt une redondance par manque de confiance dans les mots eux-mêmes. Ainsi Ahmed Barouni avait-il inscrit dans la page son poème de l’ami en tous petits caractères serrés dans un coin de la page alors que sur cette même page celui de l’espoir s’étalait en lettres énormes. Ce type de mimétisme ne mène pas loin à mon avis, de même ce que j’appellerais la « tentation du calligramme »,c’est- à-dire le désir de dessiner par les lignes des contours évoquant plus ou moins directement le thème du texte. Ainsi les deux vers de Nicolas sur la flamme se tortillaient effectivement sur la page :

La flamme dit :

Je me tortille dans tous les sens
J’embrasse de ma chaleur

Ce sont en général des voies que je déconseille aux enfants. Je sais que l’on pourra me reprocher de brimer leur imagination mais il me semble que c’est justement le fait de concentrer son attention sur le plaisir de ces tracés, plus ou moins mimétiques, qui empêche l’esprit de se laisser aller à la force hallucinatoire des mots. Sans compter que cet affaiblissement énergétique du mot, le lecteur le vit lui aussi, tout occupé qu’il est au déchiffrement de mots dont les lettres se promènent plus ou moins clairement sur la page. Leïla par exemple dont je cite plus bas le poème sur les paillettes avait écrit une ligne sur deux de droite à gauche. Je n’en pas ai gardé cet aspect « casse-tête » mais j’ai assez vite eu des doutes sur ma première proposition, qui était versifiée :

La paillette dit :

Je vous avoue
Il y a deux mille ans

Mon rêve était
D’habiter sur cette page

J’ai réussi grâce à mon amie
L’étoile filante

Si vous observez le bas de la page
Vous me verrez avec ma famille

Je vous prie
De ne pas toucher à mon territoire
Vous risqueriez
De nous écraser

Mais il faudra
Lorsque nous ne serons plus
Combler les trous

car en regardant à nouveau le brouillon de Leïla, j’ai regretté d’avoir perdu de la disposition choisie par elle cette impression de lignes qui tombent de plus en plus bas, voici donc comment finalement je l’ai mis en page (j’ai isolé fortement le dernier vers pour accentuer l’effet de chute et aussi pour mettre en valeur le verbe « écraser » qui résume le texte à lui tout seul) :

La paillette dit :

Je vous avoue il y a deux mille ans mon rêve était d’habiter sur cette page j’ai réussi grâce à mon amie l’étoile filante si vous observez le bas de la page vous me verrez avec ma famille je vous prie de ne pas toucher à mon territoire vous risqueriez de nous écraser

Mais il faudra lorsque nous ne serons plus combler les trous.

J’insiste là-dessus : en poésie la main doit se laisser mener par ce qu’elle écrit, non l’inverse : « L’écriture, c’est d’avoir la main magique » (Nicolas, cité par P. Laupin, p.231). Certes, comme je suggérais d’imaginer que les mots voulaient habiter la page chacun à sa façon, je peux comprendre que Nicolas ait disposé son poème sur l’eau comme une grande flaque ronde mais je préfère tout de même le lui proposer présenté ainsi, au cas où la vision de ses mots (quand les lignes se font tracés les mots ne se voient plus en tant que tels, d’où d’ailleurs souvent l’envie des enfants de les écrire en couleurs) lui donnerait envie de continuer le poème, alors qu’avec ces quatre vers Nicolas avait bouclé son cercle.

L’eau dit :

Je suis au bord de l’extrême
J’envahis des villes pendant des semaines.

Me voici sur la feuille
J’aime déborder de tous les côtés.

De même, Danga avait donné à ses lignes la forme de cercles concentriques de plus en plus resserrés – ils étaient même tracés au compas préalablement - qui étouffaient un texte piétinant dans des redites et des contradictions, ayant de plus en plus de mal à avancer. En n’en conservant que le début, vraiment saisissant, disposé de façon moins ludique, j’espère redynamiser le processus d’écriture :

La terre dit :

J’ai besoin d’espace
Quelle est cette forme ?

C’est bizarre, je n’ai pas d’espace
Je n’ai plus rien
L’eau, où est-elle passée ?

Il ne faut en effet pas confondre création et créativité, cette dernière étant un cantonnement de l’imaginaire dans le ludique, dans l’esthétique pour l’esthétique (« faire joli » justement) en croyant qu’une œuvre repose sur le seul plaisir de l’inventivité, même si le sens doit s’en trouver mutilé ou arrêté trop tôt, en confondant le décoratif, le fantaisiste et la poésie (ou le poétique et la poésie , pour reprendre la fameuse distinction de Cocteau)
.
Par contre, quand Émilie décale dans le poème qui suit les anaphores faites sur « tu peux », elle exprime magnifiquement un élan ; sans compter que les rejets des trois infinitifs offrent un poème dans le poème, lequel est décidément fondé sur une dynamique de la démultiplication. Au final donc, un poème d’une grande cohérence, qui est la synthèse des deux pages de travail. Je tiens à préciser que c’est en rédigeant ce compte-rendu que j’ai rajouté le dernier vers, d’abord écarté par moi : décidément les brouillons sont précieux !

Le papillon dit :

Comme les papillons ne vivent que deux jours,
Je vais profiter de mes deux jours.

Et quand j’ai rencontré cette page, elle m’a dit :
      Tu peux
Voler
      Tu peux
Etre joyeux
      Tu peux
Rigoler

En fait la page sur laquelle je suis est mon amie
On partage notre vie en fait.

Je me mets à l’aise, et je me sens coloré,
Redressé, couché, en arrière
Sur la feuille qui peut être pliée,
Un peu déchirée ou froissée

Je te présente ma petite maison petite page.

Ariane Dreyfus


Lire la deuxième et la troisième séance.


Du corps comme un lieu d’écriture, présentation du projet par Céline Baliki, professeur de lettres

La page que les mots habitent comme métaphore de la scène sur laquelle se meut le danseur
Le projet de la classe de 6A s’articule autour d’un atelier artistique qui se partage en deux temps que nous essayons de réconcilier : le temps de la danse avec la chorégraphe Claire Sauvajon et le temps de l’écriture avec Ariane Dreyfus, écrivain poète. Nous cherchons à faire se rencontrer deux univers de création qui mettent en lumière des points d’interaction entre des langages artistiques différents.

Aucune thématique ne sous-tend l’atelier. Cependant le corps est au cœur de notre recherche. C’est vers lui que nous allons, que nous avançons : le corps écrit en regard du corps qui danse, un corps poétique toujours en mouvement. L’approche poétique donne aux mots un espace dans lequel l’enfant peut pénétrer. Elle ouvre des horizons de lumière, un espace de liberté qui s’engouffre dans le corps et l’esprit des enfants, qu’ils soient en difficulté ou non. En effet, on peut constater que dans un travail autre de la langue, dans la recherche d’une langue autre, aucun élève ne reste sur le bord du rivage. Sans savoir nager, tous traversent une mer, un océan… sans se noyer. Les textes écrits sont d’une profondeur et d’une nouveauté qui, certes, ne témoignent pas d’une volonté consciente d’un écrivain au travail. Cependant ils révèlent un possible, une ouverture, un espoir…

La langue apparaît comme une métaphore de la transformation du corps des enfants qui s’approchent pas à pas de l’adolescence. Corps qui grandissent, s’épanouissent, s’ouvrent à un imaginaire sans limite. Ces bouleversements physiques et psychiques s’incarnent dans la langue qui doit créer dans un même temps un espace d’exigence, de rigueur mais aussi un désordre qui permet à l’enfant de construire ses propres repères.

Certains mouvements de danse, certaines parties du corps deviennent des lieux de l’écriture. Il ne s’agit pas d’illustrer ce qui est fait, de le répéter ou d’en faire redondance mais de partir d’idées, de sensations, de sentiments, partir de l’invisible et de chercher, d’inventer avec son corps des phrases chorégraphiques, des mouvements, des gestes, d’inventer avec des mots. Le corps dit mieux ou autrement que les mots. Il peut être plus symbolique que le langage verbal.

En travaillant ensemble, on essaie de faire que la rencontre ait lieu. Des élèves qui se retrouvent dans une situation d’impasse à l’écrit devant la page blanche s’expriment avec leur corps. Ils traduisent en mouvement ce qu’ils n’arrivent pas à dire. Et puis les mots viennent, du silence, de la mobilité et de l’immobilité. Et le corps se meut et s’émeut à l’écoute de cette musique intérieure qui habite la langue.

Céline Baliki


Lire la séance du 2décembre et la séance du 16 décembre.

29 août 2006
T T+