MZR [#3]

Capital troisième
Une Europe


En ce mois de janvier 2012 continue d’être évoqué le risque de disparition, l’abandon possible pour certains, souhaitable pour d’autres, de la monnaie européenne, l’euro. En ce mois de janvier 2012, dans une Hongrie maintenant tenue par le dénommé Viktor Orbán, premier ministre dans son état, un drapeau européen a été brûlé. Il n’est pas si loin de nous le temps où l’Europe se déchirait de larmes et de sang. Ça craint. Mais c’est surtout moi qui crains pour l’Europe et le monde car je me souviens de 1914, de la deuxième guerre mondiale, des funestes années 90. En ce mois de janvier 2012, nombre de mes concitoyens et concitoyennes se gargarisent en ce temple de la bien-pensance qu’est l’entreprise Facebook de la pugnacité d’une journaliste qui a enfin tenu tête à Marine Le Pen devant des caméras de télévision, réussissant même, pensent-ils, à la faire vaciller. Pourtant, ce qui vacille serait plutôt l’Europe, la démocratie en Europe, notre conception et notre rapport à l’argent, à l’économie, à la monnaie en tant qu’institution, notre égalitarisme idéologique. En cette occasion télévisuelle c’est surtout à une joute journalistico-politique que l’on a pu assister, c’est un face-à-face que l’on nous a montré, c’est un combat de coqs qui nous a été proposé. Et pendant ce temps-là, jamais Marine Le Pen, candidate parmi d’autres à l’élection présidentielle française n°2012, n’a obtenu autant d’intentions de votes, d’après ce que les sondages quotidiens nous disent.

Il s’agirait de réfléchir à ce que sont un « face-à-face » et une « pugnacité », autant de théories cachées toutes contraires, par exemple, à la théorie du mahdi dans le sunnisme comme dans le chiisme qui ne nous ne seront donc d’aucune utilité pour les temps actuels puisque, faut-il le rappeler, le monde entier n’est pas calé sur un seul et unique calendrier si ce n’est en matière de business. Que les premières estampes chinoises sont parvenues en Europe comme emballage de marchandises n’est sans doute pas un hasard et plutôt signe positif. En poste des années durant dans le monde de la finance – lequel m’a puissamment rejeté alors même que toute société me condamnait d’avance – j’ai pu comprendre qu’il serait utile, peut-être même intelligent, de considérer la finance actuelle en tant qu’emballage. Alors nous pourrions en admirer les techniques sans préjuger de la moralité de ceux et celles qui l’entretiennent, la renouvèlent ou la servent. Alors nous pourrions également observer les marchandises qu’elle emballe. Alors nous pourrions nous intéresser aux trajets et trajectoires de ces marchandises et de leurs emballages. Autant de théories que je n’ai évidemment pas pu développer lors de mon procès devant la 11e chambre correctionnelle de Paris présidée par Dominique Pauthe. Autant de théories que je n’ai évidemment jamais vues ni contestées ni étudiées par mes supérieurs hiérarchiques ou par les rebelles auto-déclarés de tout bord et de toute confession. Quelle que soit l’issue de l’appel interjeté par mon avocat, maître Metzner, je sais maintenant ce que je ferai dans les mois, peut-être les années, à venir : je tenterai de développer des théories – notamment économiques et politiques – nouvelles et, pour cela, tisserai autant que faire se peut ou autant qu’il me sera permis de le faire par les autorités judiciaires et pénitentiaires, liens et rapports sociaux avec des chercheurs, avec n’importe quelle personne prête à discuter de ces sujets et d’autres ensemble.

Maintenant on peut me présenter ainsi : j’ai une double dette. La première s’élève à 4,9 milliards – moins des poussières – à l’égard de la Société Générale. La deuxième est morale et peut se résumer comme suit : « tout le mal fait à l’encontre du pays dont je suis le citoyen et plus particulièrement à l’encontre de son économie ». Cette double peine je l’anticipe ici à mes risques et périls – prochainement ramenée, du seul point de vue financier, à une seule et unique se soldant par le règlement d’un ou de un plus un euro symbolique par la décision (que l’on aurait désignée en d’autres temps autres mœurs comme opération magique) de la Justice de ce pays, nommément la France. Même réduite à cet euro symbolique jamais je n’en ferai l’amende honorable. Ce serait me plier à ce que d’aucuns continuent de qualifier de capitalisme, confondant celui-ci avec le libéralisme, et ce dernier avec le fascisme dans une bouillabaisse indigne de la civilisation marseillaise. Cela reviendrait à nier les immenses vertus de la finance auxquelles je ne renoncerai jamais. Ce serait réduire ma personne et mon existence à une marchandise que je ne suis pas, à une institution que je ne suis pas non plus. Dans ce vaste blougi boulga je ne serais pas le seul emporté ; c’est toute la société française qui serait concernée directement, le monde entier à moindre escient. Il sera toujours plus naturel d’être quelque chose plutôt qu’une marchandise, d’être rien plutôt que quelque chose moins nécessaire que rien. S’il faut absolument un exemple, en voici un. Si lorsque vous prenez le train et que vous avez oublié votre carte d’abonnement, la SNCF vous met en demeure de payer et régler sur le champ – sous peine aggravée de la voir augmentée – une amende forfaitaire mettons de dix euros, ce n’est pas parce que la finance existe ; c’est plutôt parce que la SNCF a décidé de vous faire payer le coût et les intérêts de la fabrication, par ses soins, de fausse monnaie immédiatement diluée dans la masse de monnaie en circulation dont vous-même profitez ou jouissez chaque instant. Ce n’est donc pas non plus parce qu’il existe un marché de devises ; ce n’est pas non plus en raison de l’existence de la possibilité de vendre et d’acheter l’imaginable plutôt que l’inimaginable sur des marchés à terme. En termes moraux, c’est parce que la SNCF a décidé de vous sanctionner et de fabriquer de la fausse monnaie sur votre personne alors absolument réduite à un compte en l’espèce plus facile à insérer dans un compte de résultat – la comptabilité en partie double se trouvant prise au propre piège de ses règles à double tranchant – ou sur un marché financier que s’il s’était agi de vous proposer et peut-être vous servir un café tiède dans le Téoz – déjà dénommé et renommé Intercités – à l’intérieur duquel vous vous êtes fait prendre, à l’intérieur duquel s’est déroulée cette scène. A la différence près que vous n’êtes pas soumis à la condamnation, certes suspensive, de trois ans de prison fermes.

Hormis payer, toutes choses égales par ailleurs, une amende de 10 euros à la SNCF, à quoi pourraient bien me servir aujourd’hui, en pleine crise financière, 100 000 euros sur un compte en banque ? Simplement à démontrer par concrétude que la crise qualifiée de financière par toute la Terre n’est pas aussi fondamentale, profonde, terrible, qu’il y paraît. Car si la crise dite financière manifestait par elle seule l’inanité d’une finance coupée de l’économie elle aussi dite réelle et si ladite crise financière présentait un caractère historique original au point de peut-être faire basculer le monde dans un autre monde, moins soumis au supposé diktat de la finance, alors comment expliquer l’existence et surtout l’efficacité de contrats permettant à 100 000 euros d’être garantis contre toutes les crises financières… à moins que le monde n’implosât physiquement ? Certainement traversons-nous une grande crise financière, simple équivalent, par exemple, de celle de 1929. Certainement cette crise pourrait-elle encore avoir des répercussions politiques fortes ; seulement elle présente économiquement la vertu de nous faire sentir sans doute pour la première fois de l’histoire l’infini. Ce qui nous oblige à penser plutôt qu’à maugréer sinon nous oblige à ne pas penser (ce qui constitue une souffrance, quasi indicible, pour tout être humain), d’autant que hormis ceux qui sont déjà au ban de la société (soit des millions, des milliards), personne ne va crever de faim ou de soif à cause de son surgissement.

Ainsi donc hormis payer, toutes choses égales par ailleurs, une amende de 10 euros à la SNCF, à quoi pourraient bien me servir aujourd’hui, en pleine crise financière, 100 euros ou 100 000 euros sur un compte en banque ? Si telle est la question, j’ai envie de répondre : à rien. L’argent ne manque pas et ne manquera jamais ; seulement, dans les infinis, l’argent n’a pas de limite.


Envoi

Le mois de janvier s’achève et avec lui l’intermède que constitue cet MZR qui, comme exercice voire contrainte littéraire, entre L’Engrenage Mémoires d’un trader et la réécriture de ces dites mémoires, n’avait donc qu’une durée de réalisation limitée à celle – admise, légitime, légale – de ce mois de janvier 2012.

Si cet exercice fut ainsi soumis aux aléas de toute production littéraire, l’écriture de MZR fut cependant des plus agréables, pour ne pas penser « jouissive » : écrire ne sera jamais pour moi un pis-aller quand bien même un de mes métiers.

Pour ces raisons auxquelles s’ajoutent le rendu prochain de mon procès en appel et d’autres considérations littéraires – dont j’ai pris le parti de ne pas avoir le loisir d’étaler ici – j’ai demandé à un ami à peine rencontré, Arthur Gonzalès-Ojjeh, d’entreprendre l’écriture d’un livre dont le titre somme toute encore provisoire eût été Nouvelles mémoires d’un trader.

A ma grande joie et à mon grand honneur, il a immédiatement accepté même s’il n’a jusqu’à présent, tout comme moi il y a plusieurs mois, jamais commis que des rapports financiers pour des supérieurs hiérarchiques bien trop souvent imbus de leurs propres personnalités joyeusement multiples. Mieux, il m’a même déjà proposé un titre, définitif et fameux à la fois. Je me suis dépêché de l’accepter. No mercy.

16 novembre 2013
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