Manuel au festival de poésie sonore
J’ai rencontré Álvaro à Lisbonne, ce qui n’est pas original puisqu’il y habite. Ce qui l’est un peu plus lorsque j’ai découverts ses textes : écrits en français (mais aussi en anglais ou tout autant en égyptien ancien) pour introduire un décalage avec sa langue maternelle : l’espagnol, et ne pas user de la langue environnante : le portugais. Textes destinés la plupart du temps à être joués sur une scène. Et c’est normal, puisqu’Álvaro vient de la musique (elève de Norbert Brainin, Sergio Prieto - violon - et de Roque de Pedro - composition), que la musique lui a donné envie d’aller vers le théâtre musical, que le théâtre musical l’a conduit au texte, le texte à la litttérature, et la littérature le mène à la mise en scène et à la réalisation cinématographique et radiophonique.
Álvaro se tient tout entier dans l’écart, la mise à distance d’avec la langue. Il souhaite farouchement user d’une langue qui soit étrangère, étrangère au sens étymologique du terme : étrange. Une langue devenue insolite, inhabituelle. Une langue qu’il faut considérer avec méfiance, qui n’est jamais aussi simple qu’elle semble l’être. Une langue décrassée de ses routines et de ses chemins habituels. Une langue en laquelle se creusent encore et encore des galeries qu’Álvaro explore patiemment, méticuleusement. Presque scientifiquement, j’ai envie d’ajouter, tellement l’écriture va jusqu’au bout de sa logique. Tellement l’éloignement en fait un objet de laboratoire. Álvaro écrit dans un français qui devient une matrice universelle, il accumules les néologismes, forge ses verbes, use de tournures d’autres langues pour mieux faire résonner le sens. Rien n’est évident, comprend-t-on à le lire, et le doute est délectable.
Ensuite, les textes d’Álvaro prennent corps, souvent, sur une scène. C’est normal, il faut un corps pour actionner une langue, il faut une bouche pour qu’elle trouve à nidifier, un estomac pour digérer le festin des mots. C’est du théâtre, peut-être. De la poésie, peut-être également. Peu importe. Atteignant la scène, les textes d’Álvaro la contaminent, l’acteur devient l’actueur, les mots sont sa cible ou son arme, puisque tout est à double tranchant dans cet univers. Comme l’humour, omniprésent, et la jubilation de la langue sont l’autre revers d’un certain désespoir véhiculé par l’absurde.
Pour le festival sonore, Álvaro propose une rencontre avec Manuel mi-homme, mi-mode d’emploi.
Présentation par l’auteur : Manuel - mi-homme, mi-mode d’emploi – essaye de comprendre la réalité à travers les livres. Et vice-versa (à travers les livres la réalité). Et vice-vice et versa-versa (à travers les livres les livres et à travers la réalité la réalité). D’abord fixé dans la fixation, Manuel pense à y penser pour finalement dire qu’il faut parler. Trop tard.
La mise en scène sera d’Arnaud Churin et une quarantaine de lecteur prêteront leurs voix (et leurs langues) à Manuel.