Nicolas Jaen | Nô 1
Nicolas Jaen a publié Poèmes et Le Soleil rose aux éditions La Porte, La Traversée et D’un œil chez Encres Vives, Le Passage, L’Atelier imaginaire et Nu à l’aile chez Clapàs.
Certains de ses textes ont paru dans les revues Autre Sud, Lou Andréas, Arpa, Voix d’encres, Passage d’encres, Coup de soleil, Esquisses et Contre-allées avec un « affichage autorisé » intitulé « Et parfois je croise mon corps », un dossier est à paraître dans Multiples.
« Pour le visage absent » figure au sommaire de À port de temps, ouvrage collectif paru en décembre 2009 à L’Atelier des grames.
à l’instant de frapper le roc
l’eau perd son corps
dans le torrent qui pousse
seule
et brisée
sa voix
va
jusqu’à se refaire :
fleuve et ciel
deux aveugles
que la nudité de l’arbre
ne te désarme pas
tu tournes talon
cherchant le geste
primitif
d’aimer
de cesser
les mots
qu’ils deviennent
des objets tus
les feuilles
une à une tombent
sans cri
du ciel
et recouvrent
la terre
la boue
où nos pas
les aveuglent
(un enfant perdu dans la forêt)
fonds et rives
encerclent l’eau
et lui fixent un visage
mais
l’eau nue
la sensation de l’eau
où est-elle
sinon derrière l’air
entre
autour
neutre inondé
(pas de soif sans eau
et toute l’eau sans la soif)
si
par une nuit d’hiver
tu te poses près de moi
comme un oiseau maigre
fais entrer la neige
car elle a froid aussi
et dehors s’il pleut
les toits ont un visage
la boule de neige
tient
un poing d’eau
comme une pierre
qui se désintégrera
dans le noir dans le noir
j’ai ton corps
il est long et couché
et n’a plus de faim
maintenant je me ressemble moins
je suis
tout entier
dans mon poing
lorsqu’il se ferme
oh si peu
prenant le noir mais le noir
la pluie qui tombe
sur ton visage
elle a beaucoup voyagé
pour arriver jusqu’à toi
(cela le ciel le sait
mieux que la terre)
ce matin le vent
a fait courir les bêtes
il est resté
un peu
dans le jardin
et il est parti
en renversant sa chaise
ne crois pas à la neige
c’est toujours l’eau
sous la chair sur le feu
qui court ou dort
dans la rigole
savon peau de chagrin
le corps
rouge à l’intérieur
comme le ciel en tripes
des aubes
et le chemin gelé
l’oubli de la soif est éphémère
pour l’oiseau un ver est un ver
et quand tu me traverses
ne te blesse pas
tu fais plier le roseau
mais tant de fois je t’ai foulée
j’ai tout bu j’ai tout mangé
à tes paroles
et la paix des mâchoires
d’avoir à déchirer un pain
au centre de mes mains
ton image
chaque ligne finie
impossible d’y penser
chaque ongle allume un feu
je caresse l’immobilité
pesée
de l’élan
pour y arriver
et souvent j’ai si faim
que tes yeux le comprennent
le vent respire moins fort
l’eau de la neige
est disparue
sur la route
tes bras
nus
sans bijoux
rament
lents
et lentement
tournoient
comme un vol
tu me dis l’aile c’est moi
il y a l’air
cerné de neige
d’elle-même chue
damée et tue
et le gel
l’orée
si la vapeur
et la fumée montent
qui lira les poèmes
qui marchera
sur la neige
tombés
je comprends mieux les étoiles lorsque tu ris
et le monde m’apparaît plus clair
puis ton ombre tu la quittes
quand dans l’obscurité
mon corps l’incarne
l’ombre n’est plus
c’est le noir
dors oui
dors
je te donne
le rouge-gorge
mais dans l’envol
à toi
autre part
à toi
et que jamais
l’envol ne
soit pétrifié
en toi il dure
et qu’il fait durer le soleil
et le pain
quand la table fait horizon
le silence croqué
un rideau d’ombre
s’enflamme
théâtre du nô
des gestes qui se cassent
et l’issue du souffle :
tes cheveux
ruisselants
sur ta nuque
l’éclaircie
dans ce chemin consommé
de toi à moi
oui nos mains sont des oiseaux
à toujours se poser
parfois très loin l’une de l’autre
et devoir traverser un désert
celui du dos celui du ventre
pour retrouver le double
et sceller le vide entre les doigts
patience qui démêle
dans l’hermétique chambre
l’unique tempe du temps
et la sueur du pain
à briller
dans le four
nous caressons l’herbe
d’un pas
et l’herbe pousse
nous ne savons plus
un brin
un cheveu