On croit perdre du temps

Notes de résidence – Octobre 2010



On croit perdre du temps.
On fait un premier planning, un second. On commence à rencontrer des gens.
On attend. On reparle de ce que les gens demandent. On les revoie.


D’abord, entendre- D’abord marcher-


La première fois, François ne m’a pas demandé ce que j’allais faire, ce que j’allais faire faire à ses élèves, quand j’allais faire.
Pas de quand, pas de quoi.
D’abord, il m’a donné à voir son lycée, à « l’entendre ».
L’entendre, a-t-il dit.
J’ai senti que tout de suite, on était dans les choses. Dans la préparation, déjà. Autrement que par le contour.
Marcher, pour prendre la mesure de l’espace.
Sans le savoir, nos meilleures idées sont nées là : de sentir cet espace et d’entendre ces bruits. De prendre ce temps, de marche et de silence.
Prendre le temps du corps.


Savoir ne pas savoir


Puis François m’a parlé de sa façon, à lui, de mettre en route un travail. Sans chercher d’abord à savoir où allait prendre place le mien. Sans chercher à définir les endroits de rencontre, d’accord, de désaccord.
François m’a demandé d’entendre son chemin. Celui de son travail ici, au lycée, mais aussi celui, plus grand, des années d’avant qui conduisent au temps de maintenant.
L’exigence appelle l’exigence.
Quand j’ai parlé de ce que j’apporterais, c’était de plus loin que juste ces moments, ici.

A la fin de ce premier moment, nous ne savions pas.
Ne pas savoir. Constitutif d’une avancée dans le travail.
Nous ne savions pas par quel moyen, par quelle première proposition, par quels mots les choses commenceraient.

Mais nous savions que l’on avancerait par le travail du corps.
Nous savions que je nourrirais le travail de fragments de mon texte en cours d’écriture.
Nous savions que les mots viendraient de ce travail, que les mots seraient entendus, éprouvés, réécrits à la mesure du travail théâtral.
Nous savions les choses en mouvement.


Bruit et silence


A la seconde rencontre, le « comment » est apparu.
D’avoir su attendre, d’avoir su ne pas chercher à le définir d’emblée, il en sort plus profond. Plus juste.
Nous savons qu’au-delà des scènes de combat, des scènes de collège, qu’au-delà des mots du texte, il est question de ne pas entendre. De n’avoir pas été entendu. De ne pas savoir ce que sait l’autre ; ce que tait l’autre.
Nous savons que notre centre, c’est la confrontation du bruit et du silence.
En même temps, dans cette certitude, nous savons aussi que c’est là, clairement, le cœur du texte. Que peut-être, là où je me demandais, encore, ce que sait, ce que ne sait pas la mère, soudain, nous entendons qu’elle sait. Nous entendons qu’elle tait.
Ceci rend nécessaire une nouvelle scène. Celle de la confrontation. Celle de l’affrontement.
Par l’écoute, par la lecture, par le silence dans lequel laisser grandir le texte, par le jeu, du corps, de l’espace, de soi, le texte se re-joue.

La critique s’exerce par le travail du corps. Le jugement émerge de la confrontation au mouvement.

18 janvier 2011
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