Paul Dentini | 17h03 - 17h18
Présentation :
15 minutes par jour. De 17h03 à 17h18. Chronomètre en main. A 17h18, interdiction de reformuler une phrase ou d’y revenir pour y corriger certaines erreurs. Je préparais mon mon texte durant les minutes de "libertés" en faisant des recherches autour du thème que je m’étais fixé (les tumeurs). Construction d’un texte dont la contrainte m’a forcé à devoir construire une histoire dont je savais à l’avance la fin.[PD]
Lundi
Enfin. J’y suis arrivé.
Je l’ai fait vomir ce matin, au réveil. Pour la cinquième fois depuis quelques semaines. Il a eu la nausée et a vomi au pied du lit. C’était le repas d’hier soir, le repas de famille. Pourtant il avait si peu mangé. Mais cela n’a rien d’étonnant, puisque je lui coupe son appétit.
Il ne se doute certainement pas que je suis là. Au plus profond de lui. Il ne sait pas encore que je vais le tuer, à petit feu. Il ne sait pas encore que ses jours sont comptés.
A ce stade, on ne peut plus m’arrêter. Je suis en lui, je suis lui.
Nous sommes indissociables.
Mon évolution sera rapide. Il n’aura pas le temps de dire ouf.
Ce matin, il a appelé son patron pour lui dire qu’il ne viendrait pas. Il a passé tout le début de son après-midi au lit, bien au chaud.
Moi aussi, je suis bien au chaud.
Mardi
J’ai eu le temps de me diviser cette nuit. Des centaines de fois.
Ce matin, j’ai attaqué quelques cellules de son lobe frontal.
J’ai des tas de projet.
J’ai très envie d’envahir la moelle épinière. Le paralyser un peu. Faire de lui un légume, l’emprisonner. Et puis pourquoi pas envahir ses méninges, ce serait chouette non ?
Il ne se sent vraiment pas bien depuis hier. Il a pris rendez-vous chez le médecin à 17h30. Il est très inquiet, il a des raisons de l’être.
Mercredi
Cette nuit, il a dormi aux urgences. Le verdict est tombé.
« Tumeur cérébrale ». Voilà mon prénom. Maligne est mon nom.
Mais ils ne le savent pas encore.
Pourtant, les médecins se sont montrés assez optimistes à son égard.
Ils ont tout vu à la radiographie. Ils m’ont repéré.
Ils ont accroché la radio et des étudiants en médecine devaient diagnostiquer le cas. La jeune fille, blonde a dit que c’était une méningite. Mais l’autre étudiant, un garçon brun, a dit que c’était une tumeur. Le cancérologue a confirmé le constat de l’étudiant. On voyait un tissu hétérologue et une concentration cellulaire élevée.
Le cancérologue, un petit chauve, a dit qu’il essayerait de m’extraire de là, et que lui et son équipe feront tout pour le sauver. Ils ont dit qu’il fallait y croire, c’était le plus important. Cela fait quatre-vingt pour cent de la guérison. Ils ont été si gentil avec lui.
Les infirmières étaient tout sourire.
Sourire, petites attentions. Petits gestes.
Voix douces et suaves. Chaleureuses.
Cela lui rappelle la voix de sa mère, lorsqu’il était enfant et qu’il avait de la fièvre. Il avait des hallucinations et sa maman lui parlait doucement. Cette voix qui tentait de le raisonner raisonnait dans sa tête. Comme un lointain murmure. Un écho chaleureux.
Ils ont dit qu’ils appelleraient sa famille, son entreprise. Qu’il ne fallait pas s’inquiéter et qu’il était entre de bonnes mains et que maintenant il fallait dormir et qu’il ne fallait pas s’inquiéter.
« Ne vous inquiétez pas, un cas comme ça n’est pas rare. Nous en voyons chaque semaine. La science évolue vite vous savez ? »
Mais il est resté perplexe, comme s’il se doutait qu’il n’y avait plus d’espoir. Plus aucun espoir. Que tout était foutu. Tout est si confus en lui. Si brouillé.
Jeudi
Il a pris un Valium pour pouvoir dormir.
Il a des troubles de la vision et ne peut se tenir debout sans tomber. En tentant de boire son verre d’eau, il s’en est renversé sur sa blouse. Il ne peut plus contrôler correctement ses gestes. Désormais, une infirmière devra l’aider pour se nourrir, s’habiller, se laver et pour aller aux toilettes. J’ai encore évolué et j’ai provoqué des métastases dans le cerveau.
Des analyses de sang ont été faites, on aura les résultats demain soir.
Des amis et de la famille sont venus aujourd’hui. Sa mère pleurait de chaudes larmes en le serrant très fort. Elle n’imaginait pas qu’elle enterrerait son fils.
Son unique fils. Son fils tout mignon, tout beau. Son petit chéri d’amour. Son petit cœur. Son bébé, son mamour.
Elle qui l’avait tant chéri. Elle s’était battu pour lui, pour qu’il rentre dans cette école de commerce, qu’il décroche son diplôme et sa place dans cette prestigieuse entreprise. Il avait une situation stable et n’était pas adepte des excès.
Elle le serait si fort, voulait qu’il reste en vie encore un peu plus longtemps, pour lui faire des crêpes, comme il aimait tant qu’on lui fasse quand il était enfant.
Alors ils se remémoraient des bons souvenirs, la fois ou la crêpe était restée collée au plafond après l’avoir lancé en l’air pour la retourner. La fois ou Talek, le labrador, avait mangé toute les crêpes le jour de la kermesse pendant qu’ils avaient le dos tourné.
Ce soir, ils lui feront une biopsie.
Vendredi
Les médecins lui ont dit que son état était stable mais qu’il risquait de ne plus pouvoir marcher correctement. Ils commenceront la chimiothérapie dès ce week-end.
Aujourd’hui, il a pris l’air dehors, sur son nouveau fauteuil roulant. L’infirmière lui parlait de sa petite fille, Sophie. Une petite de sept ans, adorable comme tout, qui aimait la patte à modeler.
Tout ça le rendait perplexe.
Les yeux perdus dans le vide. Sur une brindille d’herbe, insignifiante, comme lui. Petite fiente de moineau sur la rambarde métallique. D’ailleurs, la peinture s’écaillait.
Un éclair passa en lui.
Soudain, il se dit qu’il se fichait pas mal de cette petite gamine de merde, qui avait toute la vie devant elle. Alors il cria sur cette pauvre infirmière qui essayait simplement de lui changer les idées.
Il criait, il hurlait, et appelait le médecin, qu’on lui donne les résultats de sa prise de sang. Qu’on lui dise s’il allait s’en sortir ou pas.
Alors on le calma, et il regagna sa chambre tranquillement. Comme si rien ne s’était passé. Il s’était étonné de sa réaction. Il ne se contrôle plus.
Cela fait longtemps que je ne vous ai pas parlé de moi.
Je me sens bien là haut, si vous saviez.
Bientôt, il mourra.
Samedi
L’analyse de sang et la biopsie ont confirmé la gravité de la maladie et de son évolution.
Au scanner, ils ont pu repérer l’état de ma progression dans le cerveau, en trois dimensions. Les médecins ont montrés d’avantages de réserves. Et ils lui ont dit qu’il n’avait que très peu de chance de s’en sortir.
Ensuite, ils ont fait une échographie de la niche prémétastatique. Avec de jolies couleurs rouges, pourpres et jaunes, ils ont pu admirer mes talents d’envahisseur.
Ce soir, il commencera la chimiothérapie. Pour la peine, je vais essayer de lui provoquer une crise d’épilepsie. Mais j’ai peur qu’il avale sa langue, je ne veux pas qu’il meurt étouffer. Je veux qu’il maigrisse. Je veux le voir squelettique. Je veux le voir pourrir sur place.
Dimanche
Enfin paralysé ! Il ne peut plus bouger et a du mal à reconnaître ses proches.
Les médecins ont déjà prévu que la chambre serait libre dès le milieu de la semaine prochaine. Une femme qui va se faire opérer du cœur prendra le lit, exactement là où il se trouve.
Sa mère est venue et a pris contact avec l’assureur. C’est elle qui devra choisir le cercueil. Elle hésite entre le chêne couleur clair et celui qui est un peu plus foncé, avec des nervures, comme si le bois avait traversé des siècles.
Pour les poignées, c’est décidé, elle prendra les dorées avec les petites motif sur les côtés.
Par contre elle ne sait pas où il sera enterré. Il n’a pas eu le temps de laisser un testament.
Elle essaye de lui poser des questions. Mais ne cligne même plus les yeux.