Paul de Brancion et Philippe Busser | Tu veux savoir comment j’m’appelle ?


Texte de Paul de Brancion.
Lu par Laetitia Auclair.
Création sonore avec Philippe Busser
Dans le cadre de l’exposition « Mon nom est personne » au CNEAI Pantin (avril 2018)
lecture perforée d’anonymat moucheté. Absentés du nom nous ne sommes pas présents. La mouche - drone de volatile - indique, s’immisce, bourdonne, vrombit, mais elle n’est pas là. C’est ce qu’on entendra.
Création sonore diffusée au CNEAI de Pantin le samedi 14 avril 2018.
Tu veux savoir comment je m’appelle
Ne sais rien de moi
A fallu tenter passer de l’autre côté des nuages
du nom
Etat civil à profusion
Choisir de choisir l’embranchement
Brancher soi même
se pendre à la juste ligne des noms
parti d’ailleurs
Première publication avec prête nom
Deuxième aussi
Troisième
Vrai patronyme
révolution
On vire les rallonges
Les postiches
Les succédanés
Les autres aussi
Et c’est parti la cuisine
Editeurs pas contents on doit fonder sur
l’objet auteur
doit être connu reconnu
Pour vendre évidemment
Interdit de changer de nom d’auteur
en cours de route
Mais c’est pas tout
Est-ce que en étant soi
on est pas aussi anonyme
qu’en l’étant pas ?
Voilà
Bifurquer
jusqu’à s’absenter de ça /soi
enfin de sa création
Car la question se pose
Ces choses que l’on produit
Au dessous ou dessus desquelles
On signe
Sont elles « nonymes »
Ou
« anonymes » ?
Les collectifs de créateurs
Les choix éditoriaux fondées sur :
Il a elle a un nom connu/ inconnu
je publie je prends je soutiens
ou non
souvent
z’ont même pas lu
z’ont rien senti
mais s’entichent du nom de …
X est très connu
Ce qu’il ou elle
Fait
Est superbe
C’est un grand poète
Un grand peintre
Un génial penseur
Un romancier fascinant
Les « on ne signe pas »
Singes anonymes du XVI ème XVII ou XVIIIème
ou même du Moyen Âge
Sans compter tous ceux de l’époque
où on n’écrivait pas encore
on racontait
on criait
Et puis les trou-badours
Et on sait pas qui c’est
Qui sait qui sied
Qui cède
Qui s’aide
Qui assume
S’obstine à être celui
Que l’on ne
reconnaîtra pas
Sans nom c’est balaise
Plus d’égotisme
d’emmerde
de com
de « marchandisation »
C’est presque la situation du livre de poésie
aujourd’hui
s’il se refuse à : au
méta… hululement
A la performance
A la doxa
A la transversalité
A la pédago-gi-tation
A la faculté
A l’université
A la capacité
A la cogité
A l’égalité à la fricassée
A l’ergo somme
Reste l’ombre portée
dans le texte et ce qu‘il a
d’essentiellement anonyme
Même si il y a un auteur
Que l’on connaît
Le texte littéraire est « anonymé »
Par son caractère universel
S’il y parvient
efface les violences les douleurs
de ne pas être connu reconnu
Ça n’a plus trop d’importance
Enfin tranquille
Ouvrage
Don de sperme anonyme
Naissance sous X
anonyme
Hypocrite lecteur anonyme
Mon semblable anonyme
Mon frère anonyme
Je préférerai ne pas
Moby dick anonyme
La Rimbe avec Verlaine
Auraient-ils pu sous Staline
Vivre dans un appartement communautaire
Russe
Avec Akhmatova ?
Lui auraient fait la cuisine
le ménage
L’œuvre de kafka brulée anonymement
remplacée par une autre
Max brod substituant
Un autre Château au Château
Ça aurait de la gueule
Les anonymes alcooliques
Ceux qui ne boivent plus
Les SDF anonymes
Les SNF sans noms fixes
Les écrivains surannés
La BNF
Les poseurs
porteurs craintifs de pseudo
de pseudos pseudos
Les nègres porteurs d‘écrivains qui payent
Les…
Les plumes de ministres
qui tendance
se font un nom après
Les rédacteurs de pétitions
anonymes
Les économistes anonymes consternés
les pic et pic et calligrammes
bourre et bourre et rata Tam
Les chauffeurs de Proust anonymes
I would prefer not to
Les bartelby anonymes
Ainsi la route est longue
Et la gloire posthume`
hypothétique et courte
Il y a aussi les inconnus
Le soldat
La femme du soldat
Les inconnues anonymes
Et les inconnus reconnus
Ceux là on perdu
quelque chose
On peut avoir un nom
et s’abimer en ce non de nom
Il faut que le nom soit juste
— Dis moi comment t’appelles tu ?
— Tu veux savoir comment je m’appelle
Tout le monde n’a pas
La chance
D’êtres né sous X
Tout le monde n’a pas
La joie
Le bonheur d’être nez d’une PMA
Tout le monde n’a pas la chance
D’être avorté
Les mots sont anonymes
Le soldat couché sous l’arc de triomphe
Est anachroniquement inconnu
Les non dupes errent
Les pères non dupes
Les fils aux paires
Les nique ta mère
Les mères de tout
Les filles de rien
Les filles mères
Les nom de nom
Les fils de putes
Les nom de chien
Les mouches à mouches
Les bourdonnements volatils
Sous la poigne de fer japonaise
1910
Les coréens colonisés n’avaient plus droit à
Leur patronyme
Abrogé
Il devait laisser place
à un nom japonais
adopté d’autorité
plus de langue non plus
classique
pas un réconfort
Les fosses communes
Sont elles sceptiques
et réciproquement
Mozart figaro si
Figaro là
la
La Divine comédie est-elle comique ?
Dante avait-il mal aux dents ?
mal d’enfer
Les mots sont anonymes
effacés par le sens
Les vivants le sont moins
Les funérailles nationales
Sont elles gage de postérité
Hugo le discret
a-t-il dynamité
la poésie contemporaine ?
Baudelaire t-il inventé
La poésie en prose ?
Ou bien c’est Rabelais
Ou Jean Bodel
On se souvient de ceux là
On se souvient aussi de Villon et des autres
Mais tant et tant demeurent inconnus dans l’anonymat du temps.
« Ouvre moi cette porte
Où je frappe en pleurant »
La porte Bordel !
Paul de BRANCION
( dans la série Crash Textes)