Transparaître, de Séverine Daucourt


Participer à l’accord du participe

D’abord le livre est beau aussi bien dedans que dehors. Les illustrations orange fuchsia de la couverture grise souris de Nathalie Tacheau sont autant de couleurs vermillon d’espoir.
Transparaître, publié aux éditions LansKine, regarde le réel du corps sexué de la femme sans déroger à la féminité célébrée ici, déçue du temps qui passe et ceci sans complaisance. Mais avec une grande dextérité poétique sonore et grammaticale qui n’y va pas, il faut le souligner, par quatre chemins.


il était si gentil
je n’ai même pas pensé je me suis fait violer mais juste à ce problème
d’accord masculin ou féminin du participe passé

Séverine Daucourt nous donne à lire le roman déceptif et magnifié d’une « béatitude sortant tout droit de sa béance ». Etat des lieux face à cette éternelle fornication à laquelle les contraires qui s’attirent s’adonnent pour exister.


qu’on me voit ne me suffit pas
je veux être reconnue
sans fin

Il ne faut pas s’en laisser compter écrit Séverine D. Je me désinfecte à coup d’intelligence et je crois que ça va cicatriser. Mais cela ne suffit évidemment pas. L’intelligence décrit, parcourt, passe en revue mais ne cautérise guère ce qui n’est ni opérable, ni opéable pour les « trouées de partout ».


on pourrait se plier en deux
marcher la tête entre les cuisses
ils feraient demi tour
on est toute trouée de partout

Le désir est entré par la porte de la vie et de l’excès « transgressif ». Il y aurait donc une vérité du corps d’elle qui éluciderait les constructions. Ainsi pour être reconnue et s’élucider soi-même dans un raccourci essentiel, on joue le jeu :


quand on a couché on est élucidé
on sait ce qu’est l’autre

Le propos est paradoxal. Quel est ce « on », que sait-il/elle vraiment ? Qui est quoi ? Qui participe à quoi et selon quel accord masculin ou féminin dans le sexe. La chose est beaucoup plus complexe semble-t-il car le corps d’elle comme soi-même ou comme autre se dilue aussi dans ce savoir particulier.


je suis restée seule
un goût amer
quand on s’est fait avoir
m’a eue m’a possédée profond
j’étais sonnée

Elle a accordé le participe en cette action dont elle est sortie seule, amère groggy. Moitié d’elle-même, passant du je au on puis revenant au je dans une démultiplication du sujet.

le mari de la prof de danse m’appelle ma mie
oui suis la moitié de moi-même

Une moitié élucidée par le sexe mais pas totalement, la « reconnaissance » par le corps possédé/désiré/regardé ne résout pas la totalité des effrois de la vie. Le désir d’être vue y trouve son expression alors que l’excès et notamment celui du rapport physique (« l’excès me meut ») trompe au risque de la destruction ainsi :


j’ai joué à la poupée jusqu’à
l’âge de mon premier annivortement

non que je sois plus belle que d’autres
mais plus conforme aux possibles projections
cible pleine de mille

On fait son miel de ces propos terribles. Mais le temps s’oppose à la linéarité des corps désirables et délicieux aussi :


j’ai commencé à m’aimer
quand je n’étais plus aimable
quand les premières traces d’irrévocable
sont apparues
suis devenue possible

Grâce à ou à cause du temps qui pose ses marques je/on/elle est sortie de ce jeu infini, infernal. Elle est devenue possible sinon paisible. La mort calme ce jeu cafard apparaissant un soir de tristesse :


je me sens mal
je sens le mal
le mâle de vivre
le mâle de chien
je me sens mule
bête comme un âne
je me sens nulle
incapable
de quitter cet homme

On ne sait qui est l’âne ou la mule dans tout ce texte où les deux font la paire sans cesse renouvelée.
Alors elle-nous fûmes femmes mères d’enfants que nous avons élevés et joui de cela et souffert de cela mais aussi avons perdu notre place au réel de n’avoir rien d’autre à offrir que le sexe.

c’était infâme
de me renvoyer à ma place
bien rangée
là où je veux ne pas être

Elle veut ne pas être à cette place où elle est. Ici on parle de jouissance en des termes trop connus de ce que l’on n’a pas pu donner à quelqu’un qui n’en voulait guère.
C’est donc une situation qui n’est pas sans dimension tragique maintenant que les années passent.
Et l’on a cueilli, dès avant cela, les roses de la piquante vie des corps étreints.

je vieillis
deviens indésirable ( … sauf parfois en province)
je paie le prix de quoi
mais je pique ma crise
c’est hormonal
ou normal
je voudrais être une homme

Effrayant de penser que finalement on n’a pas le choix de venir au monde homme ou femme. Si l’on investit tout, ou bien l’essentiel, dans le corps de désir, l’apparence l’être regardé(e) et si cette beauté-là efface, supplante les autres « que reste-t-il de nos amours », alors que ce corps s’est flétri ?


pourquoi s’embellir
résister à l’effacement
à se perdre

Tout ceci au miroir du « sexe capital » les gros culs, les bites, les mecs etc.


même à présent que je prétends mépriser la mascarade féminine
j’entretiens un naturel très étudié
une jeunesse d’allure sous contrôle
qui reflète ma pourtant spontanée juvénilité intérieure
mais c’est trop décalé entre dehors et dedans
je veux me correspondre

Naturellement que le poème romanesque qui nous est proposé est une tentative réussie de tâcher de faire correspondre le dedans et le dehors où le corps avait pris toute la place désirante dans quelque chose de l’absence du verbe, car l’âme et le corps sont liés. Ils le sont aussi dans le langage cela transparaît enfin, si l’on s’en tient au propos de l…˜auteure dans cet ouvrage.

Ainsi chaque jour qui passe efface les traces de ce corps très désiré, offert, honni armé/désarmé mâle-habile, aimanté, organisé, irait-on jusqu’à dire machine à jouir organisée « par des homme forts et admirables
je suspecte une modélisation autocentrée sur la bite
 »
ou bien
je vais porter plainte
je vais signaler ma disparition

et encore
je suis devenue misandre
ça me casse les nichons

Ouf enfin des mots pour le dire favorablement. Le jeu en vaut-il la chandelle ce n’est pas la question. La partie, pour la poète, se joue et s’est jouée à la faveur du frisson à fleur de frissons.

suis angoissée moi
d’être une femme
maintenant que je n’en ai plus le pouvoir
que je me désole
d’avoir joué leur jeu

ils sont sourds
elles se font petites
ou se donnent des airs de putes
elles se font toutes pututes

Que transparaît-il dans ce beau livre de poésie tragique comme au fond l’amour et tout jeu centré sur soi-même, comme soi-même mis sur le corps d’elles, sur la féminité en elle, sur elle habitée de sexe et déshabitée de ça qu’elle ne renie pas.
Répétition permanente d’une scène primitive car tout de même ça n’a pas dû être facile d’être fille d’une sage-femme et d’un gynécologue obstétricien. Fallait jouer la partition, éternelle parturiente de ses parents géniteurs. Ce livre est une ode terrible au drame porté par le féminin. Il est déshabillé mettant en place les grands acteurs de la tragédie sans pour autant les confondre complètement. Il se dispense des afféteries habituelles du milieu et du genre. Une recherche d’accord du participe.

là-bas on les viole
on les brise on les lapide
il faudrait que je vive ici tranquille mémère
laissant tout dire
alors que dans le monde
on en arrive à la conclusion
qu’il faut interdire les femmes

C’est une poésie politique dans le beau sens du terme et Séverine Daucourt est une poète engagée dans le cycle de la vie.

Respect.



Paul de Brancion




Séverine Daucourt, Transparaître, Ed LansKine , 2019,142 pages, 15 Euros
Une lecture filmée est visible ici.

24 février 2019
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