Pedro Kadivar | Trente et unième nuit d’été

À considérer toutes les possibilités de devenir qu’il avait jusque-là envisagées dans sa relativement courte vie qui continuait toujours, devenir poisson par l’expérience d’absolu mutisme, devenir arbre par l’exacte perception d’une verticalité mouvante et imparfaite qui tend infatigablement vers le ciel, devenir pierre par la patience immobile de la longévité, devenir animal par un solide instinct de survie, devenir poussière par la plus humble et la plus légère des existences, devenir ciel lui-même par désir d’immensité et devenir fleuve, devenir forêt, devenir montagne et devenir vent, et enfin devenir homme qui, pensait-il, avait commencé bien avant sa naissance et qu’il ne pouvait véritablement envisager car c’était ce qui lui échappait le plus et dont il avait longtemps cru qu’il serait la somme de tous les devenirs sans pour autant jouir d’une quelconque supériorité sur les autres, avant de constater qu’il n’en était pas la somme mais plutôt la possibilité même d’envisager un devenir, puisque ni montagne ni ciel ne pouvaient envisager nul devenir, et à considérer donc ainsi en cette nuit toutes les possibilités de devenir qui avaient jusque-là rythmé sa vie comme les jours et les saisons et à voir surtout son avenir comme d’innombrables possibilités de devenir qu’il n’avait encore jamais soupçonnées, il sentit la joie l’envahir pour de bon et saisit la possibilité de devenir joie à l’instant où il comprit que ce devenir-là sous-tendait tout autre.

Il ne deviendra jamais ciel ni falaise, se dit-il à l’aube, mais vivra l’infinie possibilité de devenir et sera ainsi toujours en train de devenir homme qui ne cessera qu’avec sa mort.

7 avril 2009
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