Pedro Kadivar | Vingt-sixième nuit d’été

À la porte de ta nuit s’étendent tous les jours du monde. Jours ensoleillés de toutes saisons, jours gris, jours de puissance vitale et de naissances imprévues, jours d’immenses désirs, jours de vouloirs sans fin, jours de la finitude impossible de la fin. À la porte de ta nuit rayonne le soleil, souffle le vent, tombe la pluie, chante l’oiseau des sommets. Il te suffit d’ouvrir la porte pour en franchir le seuil. Un gardien est assis dehors devant la porte et veille sur ta nuit. Il ne bouge pas. Toujours assis, toujours muet. Tu ne connais pas son visage, tu ne l’as jamais vu mais tu en devines les traits. C’est un visage qui se réjouit du jour et ne connaît pas de nuit. Il apparaît parfois dans tes rêves. Incapable de parole, il contemple dehors face à lui les jours jamais assombris par la nuit. Il te suffirait de l’aborder, de lui adresser la parole à travers la porte, il te l’ouvrira peut-être. Mais il ne comprend pas ta langue et même peut-être est-il sourd. Alors que son regard savoure la lumière, il rêve dans sa veille de tes nuits. Muet, il rêve de ta langue qui s’écrit dans ta nuit qu’il ne connaît pas, il voit tes mots passer comme des nuages dans son ciel et ne peut les lire. Y a-t-il jour plus sombre que celui qui ne connaît nulle attente de nuit ? Y a-t-il vie moins joyeuse que celle où nulle souffrance n’est possible ? Il voudrait tant franchir le seuil et pénétrer dans ta nuit où se déploie le verbe sans quoi nul jour ne verrait le jour.

2 juin 2008
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