Piste de danse, piste d’envol

Dans les tréfonds du bâtiment de briques rouges de l’Ircam, on descend, on s’assoit dans la salle de concert, le noir se fait.
Angelin Preljocaj ouvre le programme avec ses Centaures, pièce pour deux danseurs, créée en 1998.
Ici, le ballet n’illustre pas plus la musique de György Ligeti que celle-ci ne serait elle-même un simple contrepoint des figures sur scène. Evidence : osmose des corps physiques avec la plage sonore, nécessité implacable des déplacements, sauts, affrontements ou caresses au sein des longues vagues musicales (ressac pareil au coquillage porté à l’oreille)...
Et puis, après l’entracte, l’Helikopter-Streichquartett (1992-1993) de Karlheinz Stockhausen est laissé aux manettes d’Angelin Preljocaj (création en 2001) avec ses six interprètes.
La piste de danse devient alors véritable piste d’envol. La musique ultra-puissante du compositeur fait décoller les trois filles et les trois garçons. Leurs bras sont des pales, leurs jambes des patins : leur cœur unique est un rotor...
La lumière tourne, affolée, sur le plateau. Les sièges vibrent, les turbines sifflent, on voit l’élévation dans les airs, une sorte d’épiphanie concrète, l’engin plane au-dessus du plancher, s’éloigne et revient, des constructions de grappes humaines s’élaborent et se dissipent au gré des nuages lumineux.
L’écho dans les paupières de la vidéo-projection, peinture cinétique sur le sol, amplifie le mouvement perpétuel.
C’est parti, on travellingue au-dessus des champs, des villes, des autoroutes, avec cette scansion ininterrompue du rythme de la mécanique en action. Baptème de l’air, du son, du lancer chorégraphique, alliance ou alliage de haute technologie artistique...
Mais il faut bien atterrir : descendre à regret de la machine volante et baisser la tête en maintenant son chapeau, comme on le voit dans les films, pour ne pas se faire décapiter par l’hélice principale qui tourne encore.