Rasha Omran | Celle qui avant moi habitait la maison

Rasha Omran, poète syrienne, a publié plusieurs recueils de poèmes et des analyses de la crise syrienne.
Elle vit au Caire depuis 2013.

Ces poèmes ont été publiés par HA&L books.
Ils ont été traduits de l’arabe par Henri jules Julien et Mireille Mikhail.


 

(1)

Chaque fois que j’essaie d’écrire sur l’amour, l’autre femme tend la main et m’arrache les doigts du clavier
La femme sauvage
L’ensauvagée
Qui me ressemble

 

(2)

Il y a un grand miroir sur la porte de la chambre
Si je me tiens devant
Je vois le visage de la femme qui avant moi habitait la maison
La femme que je ne connais pas
Un récit après l’autre
J’apprends le détail de ses secrets
Chaque fois devant le miroir
Le grand miroir sur la porte de la chambre
Où l’a fixé la femme solitaire qui avant moi habitait la maison

 

(3)

Si j’avais habité la maison avant elle
J’aurais fait de même
Enlevé l’œil-de-bœuf à la porte d’entrée
Laissé ouvert le trou
Que l’œil de chacun puisse
Épier
Ma solitude

 

(4)

Au retour d’une longue soirée, quand j’ouvre la porte, je la trouve qui m’attend derrière avec au visage ce sourire mauvais qui dit : ta vie est stérile, je la connais – les sorties entre amis, les derniers verres, le baratin des ivrognes dans les bars étroits, les messages à toute heure sur le portable. Ici seulement, où tu habites, tu peux réfléchir à ton corps, te lover solitaire, comme un serpent dans la corbeille du joueur de ney sans visage. Après quoi elle disparaît, laisse derrière elle depuis la porte d’entrée jusqu’au lit de la chambre noire, les traces de son rire mauvais. Je me fraie alors un passage à travers les sarcasmes et m’endors, l’oreiller enlacé, de peur que la mort me trouve seule au matin.

 

(5)

Ma tête repose sur le lit
Mes pieds sont relevés
Mes mains touchent le plafond
Seul mon corps est en suspens dans le vide
Comme dans un hamac endormi
Au-dessus de moi une robe longue rouge
Abandonnée dans la splendeur du vide
Pour que s’en vête un corps de femme
Tandis que se métamorphose ma tête posée sur le lit
Et tremble sur le plafond sombre à la lueur faible de la bougie

31 octobre 2018
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