Texte de Patrick Goujon & Christiane

Ça pouvait tout aussi bien être l’envie de vivre que l’envie de mourir, il pense, en plongeant la main dans les eaux noires du Rhône. Jusqu’ici, la déambulation, ça avait été très bien, très fluide, très simple, et puis, avec la tombée de la nuit, les choses avaient pris une épaisseur plus lourde, malgré l’alcool, malgré la fatigue, malgré tout.
Ça devenait de plus en plus compliqué.
Il passe sa main humide sur son genou blessé. La fraîcheur de l’eau sale. Il élargit la déchirure de son pantalon et asperge la blessure. Ça ne pique pas, ça ne fait rien. Il voudrait du sel.
Plus jeune, il venait courir sur les quais, faire son jogging, il en croisait d’autres, des comme lui, qu’il saluait d’un petit signe débile de la tête, là il est seul comme prévu, une voiture passe à toute blinde dans la rue du dessus, une musique qui s’éclipse aussi vite qu’elle est venue.
Il regarde les silhouettes nues des arbres, branches anorexiques, et il s’assoit, les yeux dans le fleuve.
L’eau, l’eau toujours. Mais pas la même, tu te souviens… La mer, eau bleue, profonde comme tu aimais.
Les bateaux chargés et toi là, marin perdu, ton bateau resté à quai, racheté vaguement par les chinois ou d’autres que tu ne connais pas. Et puis quoi, qu’est-ce que ça peut faire ?
Il y avait le voyage, le travail, le soleil et même parfois du plaisir.
Une vie choisie, d’aventures, c’est ce que tu croyais. La Grèce, pays de rêve, tu le pensais, le disais, à tort et à travers.
C’était en partie vrai.
Qu’est-ce qui s’est passé ? Un truc que tu ne pouvais ni prévoir, ni maitriser.
Les femmes non plus. Et la belle brune… L’image se précise, les lèvres bien rouges. Une peau… Une peau. J’aime le contact des peaux ! Pourtant tellement peu tactile avec les inconnus.
Tu vois comme sur une image un visage bronzé. Un chignon en partie défait, des yeux pétillants avec une lumière si… Maria, c’était le soleil…
J’ai peur du vide.
Il se penche, c’est la nuit en reflet ou les profondeurs du Rhône.
Le soleil est absent. Tout est trop noir.
Il prend appui sur les pavés d’un escalier pour se relever. Son genou lui fait un mal de chien. Le sel ne manque plus.
Tu n’es plus qu’un corps perdu, image fugitive de corps sur les rochers blancs.
Derrière l’ombre chinoise des arbres, quelque chose bouge. Maria et ses longs cheveux noirs plongeait dans les vagues.
Il sort son téléphone de sa poche.

Patrick Goujon & Christiane

21 avril 2016
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