Texte de Sandra Reinflet & C.

Je suis un cocktail. Dans mes veines, il y a du bissap, du thé du Liban, du cidre doux et de la vodka Leader Price. 
Je suis de partout, donc de nulle-part ?

Autour de moi, tout le monde se barre. Pour l’été et plus si affinités. 
Au bled, dans les Calanques, au Cabaret vert ou chez leur grand-mère, qu’est-ce que j’en sais ? J’en sais juste qu’ils sont ailleurs. Et moi pas. J’ai jamais bougé. Pas la peine de me faire ces yeux-là, ça me va très bien. On est pas tous des oiseaux migrateurs. Y en a qui ont déjàla migration dans la peau, et qui sont bien là, tranquilles, sur leur bord de fenêtre. Moi je suis posée, depuis la naissance. La même région, la même ville, le même quartier, la même rue, le même immeuble. Pas le même appart – on a changé une fois. Pour celui d’à-côté, avec un balcon. Ma mère était contente, elle pouvait bronzer sans décoller son cul du transat. J’aimais bien mater les autres, en bas. Points minuscules entre les trottoirs, les grilles du parc. Les scooters slalomaient entre eux. Roues arrière et pots qui claquent, ils trouaient l’air. Les autres, les tâches, ne bronchaient pas. Comme si c’était normal. 

Parfois je levais les yeux. Là-haut, il y avait toujours un avion pour narguer ma mère. 
Partir. Elle aussi, elle n’avait que ce mot làdans la tête, dans la bouche. Elle rêvait d’aller àHawaï. Je sais pas pourquoi. Peut-être àcause des séries qu’elle s’enquillait de 14 à18 heures, quand mon père n’était pas làet qu’il croyait...
Bref... Ma mère, elle a toujours voulu se faire la malle. Comme les autres. Moi pas. Pourquoi ce serait mieux sous un autre toit, sous un autre ciel ? Ça ferait que déplacer le problème. Tu dis qu’il faut aller voir ailleurs. Tu dis qu’il n’y a rien d’autre àperdre que son temps. Et qu’on en a en stock. 
Mais moi je suis un cocktail. Dans mon sang il y a partout je te dis. 
Si ça fuit, tu verras qu’on pourra voyager de làoù l’on est. Et ce sera comme ce que tu disais sur les avions. Quand on décolle sous la pluie et qu’au bout d’un moment, àforce de piquer vers le haut, le Boeing passe la barre. La barre des nuages. Et qu’au-dessus il fait beau. Tout le temps. 
Pars pas.

Sandra Reinflet & C.

21 avril 2016
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