Un ruban rose à la boutonnière gauche de l’académicien


Balises au néant, rubettes et rubans : des œuvres, des pratiques d’artistes balisées de rubans dans une topologie d’assemblages et de relations entre matériaux, formes, supports et significations pour une expérience du regard toujours à refaire.


Paul Armand Gette aime brouiller les pistes. Il pérégrine sur les lisières à la rencontre de n’importe quel corps de la nature pourvu qu’il soit corps féminin enrubanné de pétales de roses.
Un ruban rose volette devant ses yeux grands ouverts. L’artiste marche sur le chemin (méta-hodos) du rivage, de méandre en méandre, vagabondant tantôt sur les rochers auréolés de fleurs qui ressemblent à des seins, tantôt dans l’herbe épaisse habillée de rosée qui fait comme un pubis aux pétales de rose, ou bien sous l’ombre mobile des rameaux blancs d’hiver quand il neige sur le Suc des filles [1] : tout est beau tout le temps et lui parle d’Elle et de ses femmes.

« Elle » c’est Artémis et elle n’est pas dupe. Les voies de la déesse sont imprévisibles. Une fois la grille [de lecture] posée, elle y laisse tomber des pétales de rose. La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière qui associe la fleur à des idées d’avant, d’un moment obsédant perceptible dans l’œuvre, qui n’est pas idée fixe, simplement métaphores fondatrices : boutonnière, théophanie, rose(s).

Boutonnière  : Nom féminin
1. Fente faite à un vêtement pour y passer un bouton
2. Petite incision chirurgicale
3. (Argot) Blessure provoquée par une arme blanche
4. (Géomorphologie) Dépression allongée, créée par l’érosion d’un lac artificiel.
(Petit Larousse Illustré, édition 2005)

Théophanie , acrylique sur toile de camouflage (153 x 138), 2005.
(Galerie Mollat, Bordeaux, du 31 janvier au 28 février 2006.) Une exposition que l’artiste présente lui-même en s’adressant directement à Artémis : « Ma chère déesse, c’est après beaucoup d’hésitation que je me suis décidé à vous présenter la première peinture que j’osais considérer comme étant une de vos théophanies. J’ai vu votre regard noircir et finalement un sourire détendre vos divines lèvres ce qui dissipa l’angoisse qui m’étraignait le cœur. Encore une fois vous me laissiez la vie ce qui après tout n’est que justice étant donné que je suis votre artiste ! »

Rose(s) [fanfreluche, bouquet]

Absente, l’intime toison cachée par la main en éventail qu’Olympia pose fermement sur sa cuisse - de la part de l’artiste, moyen terme (dirait-on) entre sa volonté de réalisme et les us de l’époque qui, en peinture, frappaient d’interdit les sexes féminins velus - semble trouver, au prix d’un éclatement, un substitut dans deux autres composantes du tableau : la luxuriance du bouquet apporté par la servante enturbannée et la noirceur du félin qui rôde en quête d’on ne sait quoi.
Autre éclat de même espèce, est-on en droit d’imaginer : à l’oreille gauche, la fanfreluche dont le rose et les replis de fleur évoquent l’organe qu’il est permis de supposer orné ou ensauvagé par cette toison qui pas plus que lui n’est montrée.

 [2]

fente faite fanfreluche

La veste de l’artiste passe de modèle en modèle. Dans les petites fentes faites en certaines parties du vêtement se glissent des boutons de rose.
Le ruban rose [3] visible sur le revers du col, n’est pas ici insigne d’une distinction honorifique, - l’artiste déteste les honneurs que d’ailleurs personne ne lui offre - c’est une peinture, un détail d’un corps féminin extrêmement agrandi, un passement d’organes du plaisir, une gynécocratie, une marque à l’extérieur qui distingue comment éperdument à l’intérieur la divine désire.

Quand c’est passe une rose le revers est transfiguré en “Théophanie d’Artémis” et l’artiste est métamorphosé en académicien d’une grâce passant inépuisablement à travers trois moments superposés :
– la déesse continue à se situer dans son contexte mythologique, déesse, au-delà du destin, à laquelle nul mortel ne pût, au gré du destin, prétendre s’unir. [4]
– la réalité invisible ou le “Tout Autre” de la déesse [“les nymphes”, dans la polysémie du mot ] forme le contenu révélé, l’intégrité de l’univers peut dépendre d’une divinité simple, [5]
– la médiatrice (Artémis) est chose de l’artiste revêtue d’une dimension sacrée, Diane, comme les autres déesses, joue son rôle de femme absolument. [6]

À force de passages, de glissements de modèle en modèle, de mots en mots, de territoires constitués en friches, de savoirs savants en secrets de petite fille, de cristallisations d’espace en gestes éphémères de toucher, de Vénus en Diane, d’Artémis en Béatrice « à moins qu’il ne s’agisse de Sylvie, de Marie-Madeleine-Hélène (beau trio bien que peu orthodoxe !) ou encore d’Enna se soulageant dans le jardin de la Villa Saint-Clair à Sète, peut-être d’Isabelle mais laquelle des trois, parfois je crois qu’il s’agit de Stéphanie qui me chatouillait avec une plume de paon à Fontenay, ou de quelque autre divinité que je n’ai pas su reconnaître, des fées peut-être Marion ou Séverine qui m’entraînèrent dans cette Vallée des Saints que je crus être celle des seins dans ma naïveté profonde, d’autres encore mais allez savoir où cette coureuse des bois se dissimule ... » [7] le vêtement gonfle et déborde. Sa fonction première de recouvrement est déplacée, elle ne dissimule plus [en partie] le corps mais montre “la liberté du modèle”. Car le modèle est libre et désirant : quand elle est nue, elle se débarrasse du monde, elle s’éprouve immortelle comme une déesse du mont Olympe. Elle se montre sans le savoir, le don ça se fait sans le savoir, tout est don chez elle : ses mains, ses pieds, ses seins, son ventre, sa source. Elle donne la totalité : le plus vivant de moi est ma pause.

L’artiste (un autre artiste) avait dit à Marthe Elle, par bonheur, et toujours nue « Unum est necessarium » ce qui veut dire : Marthe "dont j’ignorais tout, sinon qu’elle était nue, sinon qu’elle était belle, et son éclat d’un coup me rafraîchit jusqu’au ventre” [8] celui qui veut être sans trouble et limpide, celui-là doit avoir une chose -le détachement.
 [9]
Seulement prennent formes et sens les plaisirs partagés hors tout pathos et toute culpabilité et l’artiste, contrairement à Actéon, ne surprend pas Diane désarmée et nue, elle consent devant lui d’être désarmée et nue.
Ainsi, ayant tout accueilli du modèle et/ou de la déesse, l’artiste démuni de tant de richesses donne d’ultimes traits de pinceau rose. (La série des Théophanies présentée à la galerie). Il peint alors directement sur la boutonnière de sa veste, mais comme il nous la montre terriblement grossie, la trame de la toile, outre la connotation guerrière venue du mythe, désigne alors un camouflage. Le dispositif en effet tend à donner une autre apparence à la chose représentée sur l’habit vert.
Les différentes variantes de verts, de kakis, de marrons, ou de beige ne parviennent pourtant pas à confondre la morphologie de l’érythrurette féminine peinte en rouge, rose, orangé, blanc, bleu pervenche et marron.
Au rebours des fleurs bleues, la boutonnière est rouge et cet oiseau (s’il est chouette, il est un oiseau d’Athéna) est innocent de toute intention. C’est l’artiste qui en suggère les raisons à la doxa-censure mais elles, les chouettes, les modèles, les déesses n’en savent rien.
Paul-Armand Gette regarde, dessine, peint, sculpte, photographie, filme, inventorie et réinvente « La Liberté du Modèle ».

« Bien sûr. Quand j’ai entendu une jeune femme me parler des menstrues de la déesse (un sujet que j’avais moi-même évoqué quelques années avant), je me suis demandé dans quel univers fantasmatique j’allais pénétrer. Est-ce que ce serait celui de l’intime, montré dans certains cas et pas dans d’autres ? D’où la question suivante : l’espace de l’art ne devient-il pas celui de la liberté mieux que tout autre ?
La liberté est difficile à pratiquer, nous en avons perdu l’habitude !
Ce qui est déroutant, c’est quand la proposition entre dans l’imaginaire du spectateur et qu’il invente la suite. C’était déjà très joliment dit par Marcel Duchamp, le regardeur fait alors le tableau.
Je crois le public beaucoup plus timide qu’hypocrite. L’élargissement des fantasmes serait un beau programme pour un artiste. J’aime beaucoup l’expression familière “faire son cinéma”. Si ce que je montre au public le conduit sur cette voie, alors je suis comblé. »
 [10]

La regardeuse fait son cinéma, se laisse prendre par ce qu’elle voit. Elle ne sait pas ce qui se passe, elle est saisie par le détail et par le titre de la peinture : « Théophanie ».
Dans l’obscure clarté d’un sanctuaire, la grotte obscure où jaillit la source, l’apparition d’une déesse dont les premières choses vues apparaissent discontinues comme « L’Olympia émergeait nue -mais comme une fille et non comme un déesse - de ce monde séduisant, poétique si l’on veut, mais plus profondément conventionnel. » [11] , revoilà une vraie déesse et pourtant elle n’a rien de conventionnel et d’explicite, sauf peut-être la même fanfreluche rose, la même énigme rose d’un grand motif ruban ou fleur dans les cheveux : et alors quand Diane dort dans ses cheveux je suis au bout de sa langue. [12]

Un premier fait biographique, sorte de “scène primitive” racontée par l’artiste en guise de commencement : Paul-Armand a sept ans, il rencontre à Saint-Pierre-de-Chartreuse, où il passe ses vacances, une petite fille qui lui donne, entre autres choses, le goût des Sciences Naturelles.
Jean-Pierre Criqui relisant Jean-Jacques Rousseau à l’occasion d’une exposition intitulée « La vue et le toucher » ne manque pas de souligner la « connivence nécessaire, qui peut aller jusqu’à l’identité, entre l’objet d’étude et celui du désir. » Les Rêveries du promeneur solitaire expriment “ravissements” et “extases” éprouvées à chaque observation de la structure et de l’organisation végétale « et sur le jeu des parties sexuelles dans la fructification », les Lettres sur la botanique, adressée à une jeune femme insistent sur l’élévation morale dont s’accompagne la curiosité pour les plantes.
La visée de l’intérêt scientifique se déplace du côté de l’imagination : « Après avoir parcouru en détails plusieurs autres plantes que je voyais encore en fleurs, et dont l’aspect et l’énumération qui m’était familière me donnait néanmoins toujours du plaisir, je quittais peu à peu ces menues observations pour me livrer à l’impression non moins agréable mais plus touchante que faisait sur moi l’ensemble de tout cela. »
 [13]

Ainsi, le botaniste ne souffre point d’intermédiaire entre la nature et lui, sauf si la médiatrice est déesse. Après bien des plaisirs, toute une vie assurément, l’artiste est parvenu à rassembler des échantillons de tout ce qui peuple l’univers de la Diane. Il a mis dans de mêmes lieux, des musées et des livres, ce qui se trouve répandu avec profusion dans la forêt, dans la montagne, sur le bord des ruisseaux, sur les chemins pierreux fréquentés par son Olympia :
– des nymphes : des états intermédiaires entre la larve et l’imago,
– des nymphes : des divinités secondaires, mais des divinités quand même,
– des nymphes, appelées aussi « nymphéa » espèces végétales caractéristiques des eaux dormantes,
– des nymphes, les petites lèvres du sexe féminin.

Quand Artémis jette (évidemment, c’est inévitable !) pour la première fois les yeux sur cette collection remplie de carabes cuirassés de vert bronze, d’émeraude et d’or cuivré, de papillons, machaons, grands Mars changeants qui gardent longtemps après la mort leur orfèvrerie d’écailles, du Sphex à ailes jaunes qui vers la fin du mois de juillet déchire le cocon qui l’a protégé jusqu’ici et s’envole de son berceau souterrain à la grande joie du chasseur des chasses subtiles de Myriapodes, défi jeté par la nature aux arrangements systématiques des entomologistes, tantôt rapprochés des Annélides, tantôt groupés avec les insectes aptères, avec les Crustacés ou les Arachnides, tantôt constitués en classe à part, et surtout sans oublier les fossiles qui enjambent les millénaires...
sa première sensation est un étonnement mêlé d’admiration, et sa première réflexion un humble retour sur elle-même, une vocation suspendue, un insigne rouge qui n’a d’honneur que le désir, une petite chose légère sans consistance, un ruban, une fanfreluche, dont le rose et les replis de fleur évoquent l’organe qu’il est permis de supposer orné ou ensauvagé par cette toison qui pas plus que lui n’est montrée.

boutonnière bouquet luxuriant

L’immortel d’un autre genre, imperturbablement boutonné et circonspect en présence de la Diane, fait des peintures à histoires. La peinture a de tout temps raconté des histoires, toutes sortes d’histoires, d’incroyables récits mythologiques, mythologies apprivoisées, de fabuleuses narrations éruptives, le volcan, le cratère, l’écoulement, l’ardeur du feu et ses effets aussi, de grandes épopées chasseresses, surtout celles de Diane à l’Arc d’Argent et même une histoire naturelle.

Buffon à la fin de sa vie avait encore écrit neuf volumes de son Histoire pour la consacrer aux oiseaux. Il n’en prétendit pas pour autant comprendre le langage des oiseaux.
Dans la galerie de la librairie où sont exposées les Théophanies roses la regardeuse entendit ce jour de vernissage des cui-cui, des piou-piou , des hou-hou, des pépiements et gazouillis qui s’envolent de la peinture (peut-être s’échappaient-ils seulement des battements trop forts de son cœur ?)

L’artiste ornithologue, entomologiste, botaniste, géographe, pétrographe, volcanologue sait la manière d’étudier, de traiter et de peindre l’histoire naturelle, d’autant qu’il se souvient de Délos.
En se familiarisant avec l’intimité volcanique de la déesse en regardant Sambucus nigra L. et Rubus fruticosus L. et Rubus fruticosus et Rubus idaeus L. et Rubus Fructicosus L. etc. [14] et, pour ainsi dire, sans dessein, sans vouloir rien, l’artiste reforme peu à peu “le plus beau paysage du monde” , les bords de Loire aux coulées rhyolitiques de Chie Loue, les eaux étroites aux impressions durables, qui se lient dans l’ esprit par des rapports variables et invariables et par lesquelles des routes s’ouvrent pour arriver à découvrir la diversité des sources.

« Une des grandes qualités du discours scientifique est, au de-delà d’une sécheresse apparente, d’être poétique. Étant descriptif et nominatif il pousse à l’extension du vocabulaire, l’inconvénient étant qu’ainsi il restreint le champ de son auditoire, monte un peu à la tête de ses fabricants et les pousse à se croire les uniques détenteurs d’une vérité qui souvent s’esquive au fur et à mesure que les théories s’effondrent. Mais qu’importe, nous pouvons en écouter la musique à défaut d’en entendre le sens. » [15]

Dans une décharge publique la malodorante orchidée Himanthogiessum hircinum L. (à odeur de bouc) ou l’exotique Artémisia absinthium L., reconduisent l’artiste à s’offusquer contre une morale stupide qui fait une boutonnière au corps pour le diviser en deux parties dont l’une recèlerait la honte et l’autre la noblesse :
« Peut-on imaginer plus grande scélératesse que celle mise en place par ces vivisecteurs qui furent soutenus par les états dès qu’ils eurent compris qu’il n’existe pas au monde de plus horrible et de plus efficace moyen d’asservissement de l’être. Quelle abjection que l’invention de cette soit disant impureté qui serait liée à la femme, à son sexe, à ses menstrues. Quel délire criminel saisit certains d’entre nous, sinon celui qui les pousse à réduire l’autre pour exercer sur lui un infâme pouvoir. Voilà où nous en sommes, malgré de précaires libertés qui sont agitées devant nos yeux comme des acquis incomparables, alors qu’elles ne sont que les minables permissions accordées par des lois, derrière lesquelles se dissimulent les plus sournois fauteurs de crimes. Bel outil d’oppression que celui-là. Belle possibilité de vie que celle qui ne propose à nos appétits que la portion congrue des images publicitaires, l’aménagement des paysages et l’aseptisation de notre espace par le développement monstrueux de l’optique et la diminution dramatique de 1’haptique qui nous précipite dans l’abîme des illusions, en nous privant du plaisir qui fuit devant l’exaspération du désir tournant dans la cage des mirages. »
 [16]

Les mots ne manquent pas et la synonymie n’est pas étude oiseuse surtout quand l’artiste donne lecture publique du Species Plantarum de Karl Von Linné, le savant génial et le voyageur quelque peu fainéant - qui, sur les routes de Scandinavie à la fin du XVIIIe siècle, a su voir dans les fossés l’invisible et trouver un système pour le nommer.
L’artiste ami de Diane, sans aucune intention d’imposer un « système descriptif et universel », psalmodie le système de nomenclature pour câliner les nymphes et les bercer avant dormir : Cornus sanguinea, Dianthus monspessulanus, Papaver rhoeas, Uromyces fabae, Fumaria gussonei, Geranium robertianum, Embelia sarasiniorum, Atropa bella-donna, Impatiens noli-tangere, Adiantum capillus-veneris, Spondias mombin, Veronica anagallis-aquatica...
D’ailleurs Carl Von Linné n’était pas aussi “scientifique” qu’il voulait l’être,
sinon Turid Wadstein-Gette et Paul-Armand Gette n’auraient pas mis en français son Voyage en Laponie.

Si les mots viennent à manquer l’artiste photographie la fissure brûlante d’un volcan et la main aussi prend le flambeau dans la rapidité du trait pour produire des dessins et divers exercices graphiques :
La méthode, âme de la science,
désigne à première vue n’importe quel corps de la nature,
de telle sorte que ce corps énonce le nom qui lui est propre,
et que ce nom rappelle toutes les connaissances qui ont pu être acquises,
au cours du temps, sur le corps ainsi nommé ;
si bien que, dans l’extrême confusion apparente des choses,
se découvre l’ordre souverain de la nature.
 [17]

La classification des plantes de Linné, basée sur le nombre d’étamines, ne lui a pas survécu, elle n’en reste pas moins une théophanie [n.f. Du grec "theos", dieu et "phainen", paraître] car les êtres qu’elle classe sont des êtres vivants et qu’elle est bien vivante la déesse qui révèle ses beautés à l’artiste. Une même théophanie traverse l’espace mythique et la vie.
Diane a pourtant horreur du regard des hommes sur elle. Quand elle est fatiguée de chasser, qu’elle se baigne nue dans la rosée, malheur à l’ Actéon qui ne comprend pas qu’une divinité féminine, exclusive de toute divinité virile, se suffisant à elle-même, trouve dans la chasteté la plénitude de son essence.
 [18]

L’artiste ne cherche pas à comprendre, simplement il embrasse du regard l’impalpable nudité divine. Il sait voir le croissant de lune qui pare la tête sans vie ni mort de la déesse. C’est sous cette forme en effet que le bijou céleste répand dans la nuit tiède sa fascination argentine et qu’ il se confond avec les plus chastes appas d’Artémis.
Dans l’espace mythique dont il éprouve la dignité, l’espace qui reçoit la déesse, l’artiste est toléré pourvu qu’il soit aussi simple qu’un arbre qui touche la surface de l’eau à l’endroit où la source murmure. La pensée déborde le lieu où l’eau jaillit, car lorsque Diane se soulage l’artiste entend sa mélodie.

L’apparition de la nudité est sacrée, chat en quête d’on ne sait quoi, félin blessé par rosée blanche, l’artiste vénère le corps tout aussi bien que l’ âme, et ne craint pas de se mettre à genoux devant la déesse ou de s’élever indéfiniment avec elle.
En Diane aussi la divinité est à considérer dans ses trois dimensions. La vie d’Artémis consiste à s’amuser de ses multiples théophanies, dans sa hauteur, dans sa largeur, dans sa profondeur, dans sa liberté sans limite et ses inépuisables métamorphoses.

L’intérêt de Paul-Armand Gette pour les variations d’échelles est notoire, de même que sa connivence avec Carroll et Swift. Comme la taille d’Alice ou celle de Gulliver, parfois un socle de deux mètres, dispositif de présentation, chose en position d’érection conformément au mode d’exposition d’une sculpture, présente un bloc de roche basaltique et dérègle la perception conventionnelle. Pourtant nulle quête d’agrandissement et/ou d’aberration perspective, c’est une "pierre angulaire" que l’artiste déplace de lieu en lieux.
Plus on s’approche du socle, moins le “bloc/sculpture” est visible, surtout pour une regardeuse de petite taille. Pour voir la roche dans sa globalité, dans sa forme, dans sa couleur, dans son éclat, il faut prendre un certain recul : si, dans un premier temps, la statuaire s’est donnée pour objet la représentation des corps puis des choses, il semble que nous soyons entrés dans une période où d’autres préoccupations viennent au jour, précise tranquillement l’artiste.

La statuaire ici met au jour une stature d’artiste, ou plus précisément une “estature” (du verbe espagnol “estar” ) une manière d’être, de se tenir dans le monde, une position, celle d’un corps habité vivant et qui regarde de très haut le corps nu d’une déesse.
Simon aussi regardait de très haut le bouquet de fleur déposé au pied de sa colonne.
Luis Buñuel , lecteur de La Légende Dorée, s’inspira du récit de Siméon le Slylite (390-459) qui vécut durant trente ans sur une colonne de 20 mètres dans le désert de Syrie, pour créer le personnage de “Simon del Desierto” en 1965.

« Pour moi, répond Pierre Klossowski, le film, les tableaux, c’est du spectacle. Je l’ai dit aussi pour la rédaction de mes livres. Même quand je décris une situation qui n’est pas rendue immédiatement par l’image, c’est du spectacle. Un scénario, un livre, c’est toujours une succession de scènes, une succession d’instants que je décris, que j’imagine tels que les expriment les mots que j’utilise. Mais en fait, je suis sous la dictée de l’image. L’image me dicte ce que je dois dire. Oui, la vision exige que je dise tout ce que me donne la vision et tout ce que je trouve dans la vision. Nous fermons les yeux, ou bien nous les gardons ouverts, mais si nous les fermons, nous voyons tout à fait autre chose que ce qui se passe effectivement, nous voyons ce dont nous parlons. » [19]

Hommage et dévotion,
absente, l’intime toison cachée par la main en éventail qu’Olympia pose fermement sur sa cuisse (...) semble trouver, ici au prix d’un éclatement, un substitut dans deux autres composantes  : boutonnière bouquet luxuriant.
Les nymphes s’écartent, la déesse passe et dépose un bouquet luxuriant au pied de la colonne.

16 février 2006
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[1"Il neige sur Le Suc des Filles", Rapido numéro 5, 1995, Ecole des Beaux-Arts, Clermont-Ferrand

[2Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, L’Imaginaire / Gallimard, 1981, p.150

[3à distinguer du Ruban [ rouge ] Insigne de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur ; p. méton., le ruban (rouge), la Légion d’honneur. Arborer un ruban rouge ; avoir, recevoir le ruban. Voilà ce que coûtait le fatal ruban rouge mis par le roi à la boutonnière d’un parfumeur (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 221) atilf

[4Pierre Klossowski, Le Bain de Diane, Gallimard, 1980, p.18.

[5ibidem, Pierre Klossowski, p.18

[6ibidem, Pierre Klossowski, p.26

[7Paul-Armand Gette, Béatrice Cussol, Diane ?, Al Dante, éditions Léo Scheer, 2003, p.58. Extrait téléchargeable (pdf)

[8Guy Goffette , Elle par bonheur et toujours nue, Gallimard, 1998, consacré au peintre Bonnard au travers de Marthe son modèle, sa femme

[9Maître Eckhart, Du détachement et autres textes, Payot, Rivages poche, 1995, p.50

[10Paul-Armand Gette, Entretien réalisé en février 2003 par Diane Brousse pour paris-art.com.

[11Georges Bataille, Manet, Skira, 1983 p. 65

[12Paul-Armand Gette, ib.note 7, p. 15

[13Jean-Jacques Rousseau, cité par Jean-Pierre Criqui, Paul-Armand Gette, La Vue et le Toucher, la Roche sur Yon, 1992, pp.7-9

[14les 5 planches recopiées : P-A Gette, "In Natura Rerum", Musée des Beaux-Arts de Nantes, 1996

[15Paul-Armand Gette, Pillow-Lavas, Armerica & Donax Observations printanières, École des Beaux-Arts de Quimper, 1994, p.27

[16Paul-Armand Gette, Pérégrinations estivales, École des beaux-Arts de Bordeaux, 1995, p.19

[17Karl Von Linné, Systema Naturae

[18Pierre Klossowski, Le Bain de Diane, Gallimard, 1980, p.18

[19Pierre Klossowski, Bernard Lamarche-Vadel, L’énoncé dénoncé, Marval/Galerie Beaubourg, 1985, p.53