Willy Ronis, le regard déclencheur
(La photo bouge avec la souris.)
« Toute photographie est un certificat de présence. » Roland Barthes, La Chambre claire (Gallimard-Seuil, 1980).
On dit que l’exposition du photographe Willy Ronis, à l’Hôtel de Ville de Paris, est un succès : 3 000 personnes par jour.
Pourtant, le 29 novembre à 10 heures, seulement une cinquantaine de visiteurs stationnent en attendant l’ouverture de la porte. Quelques-uns font même des photos de leurs parents ou amis dans la file d’attente (pour qui sont ses serpents qui sinuent un peu partout ? Prendre des clichés uniquement de toutes ces jambes...).
Mais très vite, voici l’occasion d’entrer dans l’univers, juste une heure, du photographe - sismographe - d’une certaine époque révolue, celle du noir et blanc, de l’argentique (le Rolleiflex acheté en 1937 à un réfugié allemand et le Pentax 24 x 36 utilisé depuis 1980 sont sous vitrine), des petits métiers parisiens, d’une population non encore excentrée, des quartiers démolis, des auto-tamponneuses qui secouent toujours rien qu’à les regarder, des réverbères au halo brumeux.
La mémoire est une plaque sensible. Willy Ronis, Boubat, Brassaï, Cartier-Bresson, Doisneau...
Oui, on peut bien effectuer un saut périlleux dans ce passé, en marquant quelques repères de l’art photographique « humaniste » : l’attention focalisée sur les gens, sur la vie quotidienne, sur la ville haute - instants immobilisés dans leur unicité, dans leur poésie forcément ignorée.
Au long des salles plutôt sombres de l’Hôtel de ville, les tirages en noir et blanc de Willy Ronis, sauf quelques exceptions relevant d’une sorte de « colorisation » expérimentale, sont accrochés dans l’ordre chronologique.
Ici, l’image d’une syndicaliste, Rose Zehner (retrouvée en 1982), lors d’une grève en mars 1938 aux usines Citroën-Javel, là, cette photo lumineuse de Jacques Prévert à Tourette-sur-Loup en 1941, et puis ces vues célèbres de Belleville, et la « une » de Regards avec le titre : « Voilà pourquoi ils font grève » (10 mars 1950), un charpentier de Paris montrant en gros plan sa feuille de paie, et celle du 17 mars 1950 avec Elsa Triolet qui « anime la bataille du livre », instantanés multiples comme ressortis d’un temps révolu, celui des « derniers jours de la classe ouvrière ».
Et, paisiblement, « Isabelle Huppert chez elle, un matin ensoleillé de l’hiver 1994 » : elle tient un livre dans la main.
En 2001, Willy Ronis s’est arrêté de prendre des photos. Il a pourtant supervisé l’actuelle manifestation (il s’est véritablement surexposé par rapport à sa propre modestie), et son regard déclencheur garde son intensité amicale. Né le 14 août 1910, Willy Ronis a 95 ans, comme Julien Gracq (qui est du 27 juillet).
A l’extérieur du salon d’accueil de l’Hôtel de ville, la politique, aussi éloignée soit-elle, se rappelle à nos yeux clignant à la lumière.
Planche contacts :
http://www.paris.fr/portail/Culture/Portal.lut?page_id=102&document_type_id=4&document_id=14317&portlet_id=14227
http://www.photogenesisgallery.com/ronis.html
http://www.humanite.presse.fr/journal/2003-12-04/2003-12-04-383904
http://www.jose-corti.fr/auteursfrancais/presentation-gracq.html