Anticiper n’est pas jouer
Dans le grand creux de l’été où la crise sanitaire ajoutée aux inquiétudes futures ne me permettent pas vraiment de me sentir en vacances, quelque chose d’une résidence s’achève. Deux livres se préparent. Un roman dont une première version est maintenant terminée, lue et acceptée par un éditeur. Et une anthologie de l’atelier d’écriture que j’ai mené au Lycée Lavoisier, à Paris (atelier que je mène encore, puisque les derniers retours de textes me sont parvenus fin juillet et qu’il s’agit maintenant pour les élèves de se relire, de regarder les suggestions de correction, de valider un bon à tirer).
Ma résidence, elle se clôt officiellement le 31 août. Rien ou presque n’a eu lieu de ce qui était prévu : annulation des lectures et des rencontres, ateliers rendus impossibles et continués à distance via Internet, entretiens par téléphone, il a fallu s’adapter, et – paradoxalement – entre les grèves contre la réforme du régime des retraites et la pandémie mondiale, c’était sans doute une année idéale pour entreprendre un travail dont les racines remontent à mon adolescence : cette époque où je dévorais les romans d’anticipations décrivant des mondes totalitaires terrifiants ou des épopées cosmiques grandioses. Le motif du peuple en lutte contre un gouvernement comme celui d’une épidémie à l’échelle mondiale sont parmi ceux de prédilection de la science-fiction.
Dans quel esprit de quel auteur serait né un roman où chaque citoyen du monde mettrait un masque chirurgical avant de monter dans un bus ou d’entrer chez un commerçant ? Aurait-il osé, cet auteur, décrire des manifestations d’individus considérant que les mesures sanitaires les privent de leurs droits fondamentaux ?
Ce n’est pas la première fois que je vis dans l’un des mondes possibles nés de la science-fiction : j’ai découvert la sexualité lorsque le sida décimait les imprudents ; je m’arrête encore dans la rue, sidéré par le spectacle de foules entières – casque aux oreilles – voûtées sur l’écran d’un petit outil multitâche. J’ai assisté cette année à l’une des étapes de la privatisation de l’espace lorsque les États-Unis sont redevenues une nation spatiale en sous-traitant totalement cette ambition à une société privée. Et – le soir, dans mon jardin – je les vois les chaines de satellites qui pointillent la nuit pour bientôt nous bombarder de 5G.
Le réel passe son temps à jouer à cache-cache avec la fiction, il n’est pas étonnant qu’il s’amuse à coller aux prédictions de la science-fiction pour mieux montrer à quel point il sait se singulariser.
Deux livres se préparent, donc.
Un roman qui doit encore s’affiner mais dont la structure et la musique générale ont été acceptées par un éditeur, il parlera d’un désir d’aller voir ailleurs, il sera tout à la fois extrêmement documentaire et totalement fictionnel.
Un recueil des textes écrits en ateliers, donc, où – je l’espère – dans la confiance des échanges les élèves ont pu exprimer tout à la fois leur intelligence et leur sensibilité. Relisant leurs mots à la recherche d’un titre, je m’arrête sur une phrase. La consigne était d’écrire sur l’extraordinaire ennui d’un long voyage spatial : ce court-circuit entre l’exaltation d’accomplir une chose inouïe et la routine des jours artificiels tous semblables. Je relis plusieurs fois cette phrase située vers la fin d’un paragraphe.
Je la souligne.
Astronaute, dit-on ; rêveur, je dis.
Le recueil a maintenant un titre.