Faire sa valise pour les étoiles

De mois en mois, avec un groupe d’élèves volontaires du lycée Lavoisier (Paris Ve) et leur professeur Sylvie Cadinot-Romerio nous allons partir dans l’espace. D’abord nous préparer, puis affronter l’ennui du voyage, puis nous installer sur une lointaine planète.
J’ai souvent l’occasion d’intervenir pour animer des ateliers inspirés par mes propres ouvrages, j’ai parfois également l’opportunité de construire un atelier sur une thématique précise. Durant cette résidence, j’ai imaginé ouvrir mon chantier d’écriture personnel aux élèves, non pas pour chercher des idées qui me feraient défaut, mais bien pour partager avec eux un texte en cours d’écriture. Les lecteurs ont accès à des livres achevés, corrigés, édités. J’ai envie de montrer le livre en train de se faire : avec ses hésitations, sa documentation, ses fragilités, ses doutes et ses certitudes. Il s’agit pour moi de partager des extraits mais aussi des questionnements pour permettre aux élèves d’appréhender au plus près la réalité de mon écriture littéraire. Je viendrai avec des extraits de mon travail, avec ma bibliothèque d’adolescent (on peut être auteur de littérature générale et aimer la science-fiction et les littératures de genre). Il s’agira également de profiter de l’appui de l’Observatoire de l’Espace pour faire travailler un imaginaire à partir de documentation scientifique et historique.

Valise de Thomas Pesquet lors de son départ dans l’ISS

Pour commencer, pour faire connaissance, je propose aux élèves une autobiographie par l’objet. Le cadre est strict : un spationaute séjournant dans la Station Spatiale Internationale a droit à 1,5 kg d’objets personnels (hors ses vêtements, ses affaires de toilette et hors nourriture). Le tout devant tenir dans une mallette de la taille d’une grande boîte à chaussure. La question posée est simple : qu’est-ce qu’ils emporteraient là-haut ? Quels objets seraient nécessaires ? Et les réponses sont multiples : d’une croix offerte par un grand-père à un vieux doudou d’enfance, d’une revue pornographique à un baladeur chargé de musique, du chewing-gum que l’on ne mange pas d’habitude juste pour avoir la liberté d’en manger si jamais l’envie nous en prend... les valises se remplissent avec l’inquiétude d’oublier un objet qui là-haut fera défaut. Tous emporteront des livres aussi : une liseuse bourrée de livres numériques pour ne pas risquer de tomber en panne de lecture, mais un ou plusieurs vrais livres, en papier, pour les sentir, pour le contact avec les pages, pour le plaisir de tenir dans ses mains un objet du vieux monde dans un environnement d’écrans, de métaux et de plastiques.
Je crois que nous allons bien nous entendre.

En parallèle, pour venir animer ce premier atelier, j’ai changé deux fois mon billet de train, j’ai annulé un rendez-vous le matin à l’Observatoire de l’espace situé aux Halles puisque je n’avais plus le temps de m’y rendre depuis la gare Montparnasse en raison du décalage de plus en plus tardif de mes trains, j’ai marché jusqu’au lycée. Je n’ai pas pu aller travailler à mon roman, mais j’ai rencontré les lycéens : ils m’attendaient, et je tiens mes engagements. Je ne suis pas en grève, je suis en lutte. Lorsque je manifeste, je travaille ensuite jusqu’à tard dans la nuit pour ne pas prendre trop de retard dans mes divers chantiers. Et j’avoue que cela me pose question : ne ferais-je pas mieux de tout laisser tomber ? D’être dans la rue du matin au soir ? On change de train, on met des baskets puisque les métros ne roulent pas, on biaise, on fait tout de même. Les raisons de faire sont tellement nombreuses : tenir sa parole, honorer cette résidence, gagner sa vie alors que la moindre annulation est une catastrophe économique... Voici deux ans, je me baladais dans les salons du livre et dans les classes avec un badge auteur en colère.
Je me demande à quel moment - le jour où nous vivrons sur une autre planète - une première grève éclatera. Cette question, je finirai par la soumettre aux lycéens de Lavoisier. Parce que partir s’installer sur Mars ou à l’autre bout de l’univers, ce sera fatalement tenter d’imaginer quel modèle de société on souhaite instaurer là-bas.

17 janvier 2020
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