Benoît Artige | Figures libres, Monica Vitti
A peine débarquée sur l’île, elle le plantait là pour disparaître dans le paysage : on la croisait marchant à pas rapides sur le sentier escarpé qui longe la côte ou en grande discussion avec les rudes paysans de l’intérieur des terres. Elle retardait jusqu’au soleil couchant le moment où il lui faudrait rentrer dans cette maison qu’il avait fait construire selon ses désirs, mais dont elle ne voulait plus, comme – croyait-il – un enfant qui repousse le jouet qu’on vient de lui offrir. Tant que ce rêve était resté à l’état de croquis et de plans, ils y avaient niché leurs jeux et leurs désirs – elle s’était elle-même imaginée en femme d’intérieur qu’elle n’était pas, choisissant des meubles, des bibelots outrageusement modernes, recevant les amis avec une simplicité feinte. Mais à présent que cet ovoïde bizarre, posé sur un éperon rocheux, existait en dur, il devenait inhabitable, presque menaçant. Chaque jour, elle fuyait loin de cette prison cocon pendant qu’imperturbable il restait assis sur la terrasse à l’attendre en regardant la mer, n’y apercevant que les formes de son corps ressassées à l’infini par les vagues, avec l’espoir de pouvoir bientôt refermer définitivement la porte de la maison sur elle, pour l’avoir rien qu’à lui.