Carlos Dias | Quand les hirondelles ne reviennent plus

Carlos Dias, Dévoilement, 2025



Aujourd’hui, mes parents sont arrivés.
Ou peut-être, hier. Je ne sais pas.
Le jour, la nuit se confondent maintenant.
Ils n’ont plus de sens.
Cela fait des mois que je ne dors pas.

Ils n’habitent pas ici.
Je suis né de l’exil.
Je suis né de cette chute ;
entre les mondes.

Qui ne l’est pas ?
Baba, elle, disait
que c’était une bénédiction.

Je ne sais pas
ce qu’elle dit.

Je suis, partout,
toujours,
un étranger.


Quand la chose s’est répandue dans le monde,
les rires innocents se sont tus,
ravalés par des voix
suffoquées. Isolées.
Et ma famille et moi, nous sommes venus
nous réfugier
dans le village de ma grand-mère,
dans la maison de vacances de mes parents.

Un jour,
Baba s’est figée.
Et je les ai appelés. J’ai appelé mon père.
Avant, je ne pouvais pas.
Je ne voulais pas.
Je l’ai appelé. Je devais l’appeler,
avant que
Baba, ma grand-mère,
sa mère, ne l’oublie.

Baba s’est figée. En mouvement.
La tête et le haut du corps vers l’avant,
mince, allongé,
décharné,
(elle ne mange plus, seule)
ses pieds, lourds, englués dans le sol,
(elle ne marche plus, seule)
elle s’est figée. En mouvement.

Elle est silence tendu vers le néant,
(Elle ne parle plus, seule)
ses voix se sont étranglées
et l’ont désertée.

Seule.


Des mots,
parfois,
déchirent le silence.

Lève-moi.
Je la lève.

Couche-moi.
Je la couche.

Lève-moi.
Je la lève.

Couche-moi.
Je la couche.


Mon père avait dit qu’il s’occuperait de tout
maintenant.
Mais après trois jours. Mon père est mon père.
Il est l’homme.
L’homme juste.

Il ne sait pas.
Il ne peut pas savoir
qu’il est habité, agi,
par la violence du ressentiment.

Ma mère non plus.
Elle ne sait pas,
elle ne peut pas savoir.
Elle est la femme
Juste
La femme de l’homme. La mère.

La mère est la mère
Le père est le père
Ils ne savent pas ce qu’ils font
Les mots d’ordre sacrifient les vivants
Maman, papa


Je suis mon père, je suis ma mère.
Papa. Maman.
Bien plus que je ne voudrais l’admettre.
Maintenant je sais.
Je ne peux pas ne plus savoir.

Je suis fatigué.
Quel est donc ce requiem,
cette violence, clandestine,
toujours la même,
qui n’en finit pas de retourner ?
Quel est ce diable sacré
qui me possède
et dont je me pense à chaque fois
enfin affranchi ?

Maintenant je sais.
Moi non plus
je ne peux pas sortir de ma nuit.
Un jour,
peut-être,
Si j’apprends comment faire
moi aussi
une porte d’armoire
être plus qu’une porte d’armoire
Si j’apprends à tomber
moi aussi
de l’autre côté du miroir,
dans le temps des rêves

Si j’apprends
moi aussi
à devenir-femme,
femme-sorcière.

Un jour. Peut-être.
Aujourd’hui, non.


Silence sourd.

Et soudain :

Lève-moi ! Lève-moi !
Aide-moi ! Aide-moi !
Personne pour m’aider ?

Mon garçon ! Mon garçon !
Aide-moi ! Aide-moi !
Lève-moi !

Elle crie, désespérée,
mon prénom.

Cela faisait des mois qu’elle l’avait oublié.
J’étais le jeune homme.
L’homme.
Quelqu’un qu’elle connaissait. Peut-être.
Mais dont elle avait oublié le nom.

J’étais personne.


Aide-moi, je vais me pisser dessus.

Je me précipite.

Lève-moi.
Je la lève.

On y va ?!
Baba ?!

Non.
Je ne veux pas aller aux toilettes.
Je voulais juste que tu m’aides à me lever.

Elle me regarde.
Un silence.

Je la vois,
Baba est là
un instant… suspendue
de l’autre côté du miroir
Elle sourit, espiègle.

On éclate de rire.


Silence


Couche-moi.
Je la couche.

Lève-moi.
Je la lève.

Couche-moi.
Je la couche, le temps des rêves.


Une porte d’armoire s’ouvre
Un miroir : qui suis-tu ?
Je ne suis personne. La porte se referme.
Personne Personne Personne

Je suis je suis
Répétition

Celui qui
lève les morts
Celui qui
couche les vivants

Je la Lève
Couche moi
Je la couche
Lève moi

Une porte d’armoire s’ouvre
Un miroir : qui suis-tu ?

De l’autre côté, un cri

silence

Le jour, la nuit, tout, se confond

L’amor écrit le vivant de l’intérieur
Les mo(r)ts sculptent le vivant de l’extérieur

Lève moi je suis
L’amor
Couche moi je suis
L’amor

Éclat de rire

Qui suis-tu ?

Je suis je suis

Celui que
Les mo(r)ts lèvent
Celui que
Les mo(r)ts couchent


Qui suis-tu ?

Bénédiction
Je suis
partout
toujours
un autre

Je, lève les morts pour danser
Je, lève les mots pour chanter

Je suis
Baba
Femme-sorcière
Bénie entre toutes les femmes

4 avril 2025
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