Bibliothèque municipale d'Angers
LES MARDIS DE LA POESIE
séance du 22 février 1994, 20h30
ANTOINE EMAZ / Poèmes lus par lauteur
"QUAND ON FINI DE REGARDER, ON NA PAS FINI DE
VOIR"
Antoine Emaz, né en 1955, a des attaches familiales en Anjou.
Il vit et écrit àAngers. Il publie des poèmes dans
de nombreuses revues de poésie, sans être attaché
à aucune école.
Des mots simples que lon ressasse dans lincertitude
Les poèmes que nous propose Antoine Emaz sont fait dune
poésie de la sobriété. Nus, ils courrent à
travers des mots simples, voir redits, répétés vers
le noyau même de la poésie. "Poétique de lextrême
concision et de la rareté" écrira Patrick Kechichian,
à propos de C'est (1992).
Lexpérience de la lecture de poètes travaillés
par une poésie du mouvement tel que Ponge, Reverdy, Guillevic,
a été fondatrice pour Antoine Emaz. Cest cette dynamique
du provisoire quil exprime dans Poème en miette. "Réalisé,
le livre reste pour moi débris ou indice de loeuvre à
faire. On termine, on ferme, on achève pour en finir. Au bout,
le livre reste encore tellement en avant que cela effraie..."
A partir dune souffrance, dun mal-être, il tente de
"réduire là-peu près de la vie" et,
dans lincertitude de "retrouver derrière la vie, la
mort, les choses ce goût inqualifiable". Il sagit dêtre
"être pour le moment" (Poème de la broyeuse).
Dominique Grandmont, à propos de En deça : "Ecrire,
cest rencontrer lobstacle ou sa limite, la circonscrire ou
laffronter". Antoine Emaz à force dusure des mots
va à la recherche de ce mur, contre lequel sarcbouter.
Cest à partir de "formes qui dérivent de presque
rien" comme le note James Sacré, à propos de Deux poèmes,
"des mots familiers comme des bêtes" (Peu importe)
quAntoine Emaz approche de lextrême limite du réel.
Poèmes de la sensation vraie
Dans une "langue sans effets mais sensible à la sourde
gravitation des éléments les plus ténus du sensible"
comme le dit Pierre Dubrinquez à propos de En deça,
Antoine Emaz choisit des mots dans leur pauvreté et les pose là,
pour tenir. A travers des phrases aux résonnances de pierres dures,
ils prennent consistance de la matière : terre, sable, dunes. Ils
nous attachent.
Dans En deça : "Il faudrait que chaque mot pèse
autant quune pierre."
Cest sur ces mots que lhomme dans une présence silencieuse
dissimulée derrière un "on" impersonnel, mais
générique, va chercher appui et passage. Abattu, jamais
écrasé, il est prêt à rebondir.
Dans Cest: "Une seule chose est vraie dans le moi, un
poids, un caillou".
Mais, Antoine Emaz nous dit: "On naît devant soi." (Cest)
Lélargissement viendra du dedans
"Dans le continu des jours, on tente de senraciner
plus loin à lintérieur sur quelques poèmes
qui durent à travers la masse des actes de sommeils." Poème
usé.
"Parfois sans comprendre; on arrive à rejoindre le calme
transparent. La paix de pierre de sièclés vaste et légère
qui tremble au fond de tous les jours...
Une poignée de sable infinie en lair,un livre.., peuvent
suffire..."
La phrase dAntoine Emaz "avance à pas compté
pas très loin mais là où eUe est elle tient"
souligne Thierry Guinhut.
Cest le poème gui fait sa forme
Les poèmes dAntoine Emaz se présentent comme
des séquences dans des suites construites en une énergie
continue. James Sacré parlera de "versets solidement liés",
mais hors dun cadre ou dun moule : cest le poème
qui fait lui-même sa forme. Le titre est fait dans les premiers
recueils,du mot poème : Poème usé, Poème
pour passer, Poème maigre, Poème un temps mort, Poème
carcasse, ou dun mot court Fini, Maigre, De
peu, Un gel, qui donne figure à la séquence.
Quant à la place du poème dans la page, il se pose en bas:
cest le début de lenracinement.
Pour Antoine Emaz: "Le poème a tendance à exister seul."
On ne devient ni plus grand ni plus fort au
bout des livres. Peut-être seulement un peu plus dair. Si
seulemen4 il y avait un peu dair dans les pages. Un livre au mieux,
il saigne le mal. Et toi tu apportes lair, qui te reste au bout
ce que tu as apporté sans trop savoir un peu dair,
parfois devenu plus lourd; cest selon.
[Un livre] il séconomise, vit plus longtemps que nous il
se tait davantage.
Cest donc aujourdhui quil faut trouver. Aujourdhui,
tant quil te tient encore...
Poème en miette - Tarabuste, 1986
Jusquau bout du vent
on est au large
peu importe le lieu dans la langue
lendroit précis dune terre
on reconnaît
sans savoir on avance
vers ce qui serait au-delà
de létroit
ou du ciel
on avance
et les mots familiers comme des bêtes
sans bruit tracent la route
et vont vite
Peu importe - Le Dé Bleu, Le Noroît, 1993
il faut parler dun étranglement.
Dehors serre davantage en ces temps de vide, strident. Dedans, ce n est
pas neuf létroitesse.
Rester debout, entier, maintenir lécoute de ce qui est, et
vient, à travers et malgré le bruit de ce qui est, aussi,
et vient, également.
Obstinément sopposer à ce qui étrangle, demeurer
en éveil, savoir durer, jusquà ce quun mot pèse
le poids dune pierre.
In Verso n° 64 - Matière 21 (1991) - Confiscation de
la parole
et pourtant
repliée en dedans mais sans cesse
la même force sarc-boute
contre
et plie jusquà rompre ou trouver
lendroit juste où peser et passer
en joie
midi mental
quand on parvient d un même élan
à sacquitter du jour
et le passer
in Poèmes Communs (1989) - extrait de Poème pour
passer
le dehors tourne
vite
la peau craque
personne nassiste
une peau craque
et ce quelle révèle
dedans
ne reste rouge
que peu de temps
on nattend pas
que cela se ferme
du dehors
on se replie
assez loin
dedans
on se serre un peu
et on se ferme
plus loin
dedans
plusieurs fois cela
et on devient mince
fil de glaise
à force
on na plus grand-chose
à offrir
à refuser
on se tient
avec un peu de chance
assez encore
pour avoir lair
et durer sans cesse
attendre
ne pas laisser les choses ainsi
on voudrait
on ne lâche pas
ce sont les mains qui abandonnent
on n a pas lâché
quand on a fini
on est lâché
et bien forcé de laisser
au bout
in Poème maigre
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