Antoine Emaz / Dans le moi, un poids,
un caillou... Antoine Emaz, un poète essentiel |
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Ce monde est sale de bêtise, d'injustice et de violence; à mon avis, le poète ne doit pas répondre par une salve de rêves ou un enchantement de langue; il n'y a pas à oublier, fuir ou se divertir. Il faut être avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits au silence. J'écris donc à partir de ce qui reste vivant dans la défaite et le futur comme fermé. Antoine Emaz Entretien, Scherzo 12-13, été 2001 |
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Né en 1955, Antoine Emaz vit à Angers, où il enseigne en collège. Depuis 1990 il a principalement publié : En deçà (Fourbis, 1990) ; C'est (Deyrolle, 1992); Poème, trois jours, l'été (éd. PAP, 1992), Peu importe (Le Dé bleu, 1993) ; Entre (Deyrolle, 1995) ; Fond d'oeil (Théodore Balmoral, 1995) ; Sable (Tarabuste, 1997) ; Boue (Deyrolle, 1997) ; Soirs (Tarabuste, 1999), Je ne (Editions en Forêt / Verlag im Wald. 2001), Ras (Tarabuste, 2001). |
le dossier Emaz de remue.net pour découvrir Antoine Emaz : s'en sortir, un poème dans L'Animal n° 15 (été 2003), d'Antoine Emaz : Peur 1, 2, 3 nouveau (mai 2004): Depuis le temps, texte inédit hors
Internet : Antoine
Emaz salué par ses pairs
La revue Scherzo n°12-13, été 2001 ( 39 bd St Jacques 75014 Paris - distribution PUF): Un entretien et des poèmes inédits. Lectures par James Sacré, Marie Alloy, Pierre Grouix, Nicolas Pesquès, Emmanuel Laugier, Daniel Biga, Jacques Lèbre, Jean-Patrice Courtois, Gérard Bocholier... |
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autres liens et ressources nouveau (mai 2004) : sur le Panoptic d'Inventaire/Invention, un magnifique texte d'Antoine Emaz : KO - (si pb d'affichage, vérifier que vous disposez bien de la dernière version du plug-in Flash Player) "Je
ne pense pas, je note (Reverdy)" le Matricule des Anges a toujours défendu l'oeuvre d'Antoine Emaz - leurs compte rendus critiques sont en ligne... Entre - Soirs - Fond d'oeil - Boue - Je ne (voir recension sur [@]xé libre et site Verlag im Wald) Sur Ras, lire le Matricule des Anges n° 38
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À vrai
dire
Nuit tombée. Cette espèce de courant d'air
frais plutôt que vent - c'est calme avec quelques voitures sur
la route en bas, le grésillement des insectes, les bruits de nuit.
L'absence de contraintes préétablies n'est pas liberté. Dès que trois mots sont alignés, ils contraignent. Gauloises bleues. Ces objets qui accompagnent, clés,
briquet, livres, pipes, carnet... finissent par former une sorte de bulle
que l'on pose n'importe où. Mais on vivrait mal à cent
mètres de cet espace. Un poète, c'est peut-être quelqu'un qui, à tort ou à raison, veut des mots là où il n'y en a pas - et pour cause. Impression de ne plus avoir toute ma tête. Je travaille et je vois, après. Impossible concentration. Perpétuel retour sur
l'agonie de P. et attente du téléphone m'annonçant
la fin. Je tourne en rond dans la pièce, sans pouvoir rien faire.
Cette mort ne me fait pas peur ; je l'attendais depuis deux semaines,
je la savais proche, et même souhaitable. Pourtant mon corps réagit
: mains moites, ventre noué, gorge serrée, tête molle... 8 Septembre. Mort de P. M. tient le coup. Derrière sa fragilité -
petit corps mince et tout en nerfs - une très grande force. Beau temps clair ici - plein bleu et immobilité des
branches. Toujours la même tête nulle. Curieux, un peu anxieux de savoir avec Soirs si la forme
de vrai/faux journal tient assez. Dans ce cas, je pourrai continuer vers
Tas, temps. Sinon, il faudra prendre du recul et vérifier la nécessité de
poursuivre cette espèce de chronique d'écriture trouée. On fera les comptes après. L'humour est un mode de distance. J'en suis peu doué,
mais j'aime les poètes qui travaillent sur ce terrain difficile
parce qu'extrêmement précis. Un zeste de trop et c'est le
ratage, la lourdeur. Il y a un vrai risque à écrire le
désenchantement sur le mode du sourire triste. Encore une fois, ce n'est pas le fait qui importe, mais
son impact sur la sensibilité, donc l'émotion. C'est elle
qui ruine le langage, et bouleverse. Écrire un poème, c'est
rebâtir du langage avec et contre ce qui l'a ruiné. Certains vieux font de rien un tout. Ils sont myopes.
Peu capables de bonté, à la limite, parce que fixés
sur leur sort - et capables d'une bonté extrême, parce que
fixés sur leur sort. Donc... Désorienté. Ne plus savoir par quel bout
se prendre. Tristis est anima mea (Charpentier), Trouble in mind
(Arshie Shepp), Adagio du quintette D 956 de Schubert... Noter, c'est comme être à côté.
On sait que l'on n'a pas la meilleure place, mais à un moment,
peut-être, on aura le meilleur angle de vue. Irritation de voir T. faire tout un drame d'un petit
déménagement. Et pourtant c'est vrai qu'il y a comme l'entrée
dans la dernière ligne droite avec ce passage en maison de retraite.
Mon irritation vient peut-être de la proximité de la mort,
effective, de P. Faire un paquet de tout ça, je le peux mal. Rituel soufi sur France-Culture. Exactement aussi envoûtant,
circulaire, que le grégorien. Comme si les voix cherchaient, quoi
? Ordinateur cassé. Occasion de mesurer la place
prise par l'objet au quotidien. C'est devenu un ustensile comme le frigo
ou le lave-linge, un outil auquel on ne pense plus tant qu'il est là,
disponible. Mort d'Amalia Rodriguez. C'est comme fermer des années
de cassettes écoutées dans l'auto en allant au boulot.
Je ne comprends pas le portugais, mais reste extrêmement sensible à la
beauté passionnée de cette voix. Puissance et jeu, théâtralisation
de la tristesse, et abandon. À la différence du romancier, peut-être,
le poète ne se met guère au travail. Je ne, qu'est-ce qui vient dans ce poème ? Quel
droit ai-je sur ce visage ? Comment écrire de façon assez
floue pour que le poème ne soit pas seulement tourné vers
elle et moi ? Ne pas unifier, ne pas fermer, ne pas enfermer, ne pas
mouler, ne pas revenir au même, ne pas faire taire, ne pas S'interdire,
ne pas se réduire, ne pas s'encager, ne pas s'y croire, ne pas
s'endormir, ne pas lisser, ne pas se hausser du col, ne pas plier, ne
pas rêver, ne pas craindre, ne pas cesser d'avancer, ne pas crier,
ne pas geindre, ne pas s'affoler, ne pas ne pas voir, ne pas faire comme
si encore que, ne pas oublier, ne pas fumer autant ne pas boire pendant
un certain temps encore que, ne pas être séduit, ne pas
refuser, ne pas seulement comprendre, ne pas s'apitoyer sur soi, ne pas
s'enterrer, ne pas traîner, ne pas finir, ne pas séparer,
ne pas iodler, ne pas isoler un livre, ne pas tricher, ne pas surplomber
ni souplomber ni plomber tout court, ne pas faire en sorte, ne pas être
sûr. À la fois j'ai honte, et pas du tout. On verra,
s'il y a quelque chose à voir, au bout. "poésie morte-morte" Travail sur Je ne. Ce n'est pas achevé dans
le sens où je ne suis pas au bout de cette émotion. Mais
je n'irai pas plus loin, maintenant : je suis à bout. Montage du poème. Étrange comme l'ordre
des séquences bouge peu, de même que le type d'écriture
est rarement remis en cause. Par contre, je supprime : Je ne a
déjà fondu de moitié. Dès l'élan d'écrire, il y a une
rhétorique qui porte l'élan et le poursuit. Mais on ne
doit pas l'entendre. Sinon, on n'écoute plus qu'elle, exactement
comme le bruit de l'horloge détraquée du four, ou un robinet
qui goutte. Étonnant comme l'image de P. mort peut me revenir
en tête de façon incontrôlée : en plein travail,
quand je parle avec quelqu'un, au milieu d'une émission de radio,
quand je me lave les mains... Je ne : la part d'intuition dans le travail de coupe
et de mise au point. Je ne sais pas ce que je cherche, mais j'entends
si je J'ai trouvé, ou non. D'où la nécessité de
reprises multiples du poème : une succession de ponçages. Dans les pages ratées, il y a souvent une vérité ;
celle-ci est donc moins importante que la justesse du rapport force-forme, à trouver
pour chaque poème. Mémoire hors temps. Tout s'appelle ou se rappelle,
se télescope, avec autant de netteté, à des mois
ou des années de distance. Entre passé et présent,
il y a aussi "des portes d'ivoire et de corne", plus ou moins
bien closes. Pas de poème qui tienne sans tension. Dans ces notes, est-ce que je m'explique ? Pas l'impression
; sinon je devrais me sentir clair comme un bleu d'hiver. |
Antoine Emaz : à vrai dire - un journal de travail , texte confié en août 2000 au n°1 de L'Atelier Contemporain (merci à F-M Deyrolle)
Yves Charnet : "ne pas s'affoler", lettre à Antoine Emaz
dans le dossier de la revue Scherzo consacré à Emaz, la contribution très sensible d'Yves Charnet
Dominique Viart: Antoine Emaz, la parole commune - une approche de l'écriture d'Emaz, genres, métonymie, corps
Paul Badin : Des mots simples que l'on ressasse dans l'incertitude - document : en 1994, une présentation d'Antoine Emaz pour une lecture à la bibliothèque d'Angers, l'occasion de reparcourir quelques textes anciens ou méconnus d'Emaz
Alain Freixe: Ténacité du peu d'être
trois recensions pour la revue Europe, une autre approche d'Emaz