petite contribution
à une déstabilisation de M. Jourdain 4 / Retour à Char |
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Retour à Char? Retour à Char : sans vergogne! Surtout quand la vie nous conduit à tant dincertitude devant ce temps présent qui donne à lhomme ce visage sauvage et boursouflé, et même sil nous faut en ra-battre, et de beaucoup, de nos fois anciennes, devant le pouvoir des " inventeurs " venus de " lautre versant " nest-il pas plus que jamais nécessaire de nous faire " une santé du malheur " ? Retour à Char pour y puiser le secret dune présence aux autres et à soi-même sans laquelle, indubitablement, non seulement on ne saurait rien fonder en poésie, mais surtout hors de laquelle cest bien lêtre de lhomme qui se dissout à force de platitude, qui se déperd dans le dérisoire, dans les eaux plates du fleuve. Oui, retour à Char pour cette santé allègre et vivace qui fait signe, non pas exactement au-devant, mais plutôt comme un souffle traversier, à quelques pas dici, derrière la poussière que lève, dans le discontinu et le fragment, la foulée dun marcheur " puissant ". Ecoutons par exemple Vétérance, et comme ce texte définit lessence de cette poésie, qui est laphorisme : " Voici que dans le vent brutal nos signes passagers trouvent, sous lhumus, la réalité de ces poudreuses enjambées qui lèvent un printemps derrière elles. "Passe un marcheur ; vite ou lent, peu importe, il suit sa trajectoire et fait route plus loin, selon sa pente; il passe; il est " passager " dans " le vent brutal " contre lequel, peut-être, il fait effort ou, au contraire, qui le porte : il est " dans "ce vent. A le voir ainsi défiler sous nos yeux on pourrait croire son avancée continue : ainsi lillusion des images sur lécran. Ainsi, surtout, de tout discours : lécoulement ininterrompu des mots bien sonnants, bien ficelés en rhétorique, toujours pertinents à leur objet, toujours lenglobant parfaitement, liés par leur chant et leur mesure, se clôt et sachève dans la péroraison. Nulle solution de continuité. Tout est performant. Tout se déroule dun début vers une fin : le discours maîtrise le temps. Et lon peut à laise sinstaller là-dedans, démonter les rouages de la machine, en faire briller les figures. Ainsi du discours, soit ; mais non de la parole, de " len-jambée ". Le mouvement de la marche fait illusion. Car toute enjambée, prise en soi, est fragmentaire. Toute enjambée, passé le temps dun fragile suspens où tout peut encore se jouer de la défaite ou de la victoire, de la chute ou de léquilibre, doit céder au pas suivant, quil faudra seulement " tenir ", à peine gagné, le temps dun éclair, pour tout risquer à nouveau et tout céder encore pour ce qui est à venir. Ainsi la marche, la parole, souvre, et se déclôt sans cesse delle-même, rompant ce cercle où prétendrait lenfermer le mouvement dun discours. La marche est dialectique; peu à peu se construit du sens, mais pour aussitôt se détruire. Le discours ficèle le sens : il dit la vérité ou ce quil veut telle. Laphorisme souvre au sens. Plutôt, il ouvre au possible dun sens. Il libère une parole dans la syncope de laquelle quelque chose vient, rayonne, et disparaît. Cest pourquoi lenjambée est " poudreuse " : elle nest pas solide, massive, claquant sourde sur lasphalte. Elle ne réduit pas le chemin parcouru à de la prose. Elle ne se rabat pas sur le réel pour le coiffer, à larrivée, de larmure dun savoir. Au contraire, elle " lève " une poussière dhumus ; ou bien, comme il est dit ailleurs, elle " essaime " cette pous-sière. Tout cela qui rayonne est fait pour se perdre. Et cest aussi pourquoi le marcheur ne possède rien ; la marche, au contraire, le dépossède. Sil se met en route, et il ne cesse de " se mettre en " route, ce nest pas pour sengager sur un chemin, cest pour sengager " dans le vent du chemin ", et pour sy engager " nu ". Or vers où coule donc la poussière ainsi levée dans le vent ? Où va la parole? Non pas, comme il serait naturel et selon la loi dentropie, vers sa fin. Ici, on nachève rien. On ne construit pas une oeuvre. On ne mène pas à terme un projet. La vérité du temps échappe à tout récit. Certes, on ne conclut pas ; et cependant on " trouve " : de parole fragmentaire en parole fragmentaire, se creuse la faille par où, à lorigine, une source a jailli. De fragment en fragment, et dans cette faille ouverte par la cognée des mots en asyndète, à force darchipels, se révèlent, dit précisément le début du texte, " les sites où nous nous sommes agenouillés pour boire ". Avancer en ce sens est bien faire retour amont, et donc " cortège " à ses " sources. " Ainsi la marche du vieil homme dévoile le secret de sa " vétérance " : sa jeunesse pérenne. Il ny a de vrai temps que ce " printemps " levé dans la parole et offert comme promesse et terre promise à qui veut bien à son tour affronter le vent brutal et le risque de la marche. Tel est bien laphorisme en son inachèvement : il donne. Mais quest-ce que donner? Si je donne, ce n est pas pour prendre, dans le geste qui donne. Si je donne, cest en abandonnant, dans la tornade, des mots de chair, pleins de trous et de silences, et qui sont autant dinvites pour qui, se donnant lui-même à ce don, le recueillant dans sa fragilité, entrant dans louvert du poème, en fera pour un temps sa demeure ouverte, réalisant en cela le voeu le plus secret et le plus constant de toute poésie, qui est de sépanouir dans une rencontre amoureuse. Retour à Char, oui : pour jeter au feu ces langues de bois qui mentent et qui nous alanguissent; pour renaître à la fraîcheur des commencements; pour retrouver le sens de la parole. Jean-Marie Barnaud
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