Philippe Rahmy / Une fin des certitudes

chronique n° 8 : à quand la liberté?

en écho à la chronique de Ronald Klapka: "Adonis, chevalier d'étranges paroles"
suivi d'un nouvel écho de Jean-Marie Barnaud


Je partage pour part l'enthousiasme d'Adonis, sa disponibilité à la lumière et au sens. Mais comment ne pas partager ça?... Je suis là comme chacun, chamboulé par le langage, aspiré vers le haut comme dans un tuyau jusque dans les embranchements extrêmes de [...] mon [...] être ramifié à l'infini (Rilke)... dissémination... [I]llumination[s]... Derrida et Rimbaud, peut-on mieux faire en la vie?

Ensuite je me dis que je diverge d'Adonis pour tout le reste, parce que je ne déplore pas la décrépitude d'un siècle qui ne décrépit pas, parce que je ne vois nulle stèle à redresser (je pense par exemple à Prigogine pour me convaincre de l'inanité de toute restauration, dans le cosmos comme en art), parce que la lumière à laquelle j'aspire ne tient ni du brillant, ni de l'évidence, mais qu'elle est d'abord fille d'obscurité et pourvoyeuse d'embarras. Je ne veux rien devoir aux pratiques de l'alchimiste ni à celles du semeur, engranger l'or ou le grain au mépris de la gangue ...

Ce que je trouve ne tient pas au feu.
C'est l'humain hébété qui se serre dans les mots où l'essor éternel du silence le contraint, et ce sont les mots périssables qui déclinent dans leur nuit sans objet l'amour qui n'a jamais rendu les armes Dupin.

La poésie a joué, magnifiquement, son rôle. Elle a créé des manières de voir l'univers en sa pleine fraîcheur – et l'existence en sa pleine beauté.
La faille dans notre vie moderne est due à notre incompréhension de cette évidence.
Adonis

Toujours le Paradis Perdu... on n'en sort pas! Me semble au contraire que qq chose de l'ordre d'un bonheur est possible justement là où et parce que notre vieux socle ontologique est parti en morceaux. Que la liberté "neuve" est celle de l'âge adulte qui s'épanouit aux ruines de son ancienne demeure et pour qui vivre n'est plus s'abriter, mais coucher aux champ de pierres pour rouvrir sans cesse cette blessure de gorge qui affranchit de la fureur de posséder, et du désespoir d'avoir perdu.

Oedipe sur la route H. Bauchau, ... ayant arpenté l'orbe nocturne de son propre désert il chante,... il chante son corps mutilé qui se dégrade et ce chant fait autour du vieillard comme un essaim, désordonné flux du dedans qui se retourne sous de grands arbres se mouvant Dupin.

C'est pas si neuf en somme, ce genre de liberté ni de blessure "féconde"!...