Philippe
Rahmy / Une fin des certitudes |
|
chronique
précédente - chronique suivante - page d'accueil Philippe
Rahmy |
Chronique 12 : Stig Dagerman - Les degrés d’une consolation L'écrivain
ne saurait se soustraire Etoile filante de la jeune littérature suédoise des années quarante, auteur de « L'enfant brûlé » ou du « Condamné à mort », Stig Dagerman a 30 ans quand il rédige à la première personne les douze pages de « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». Armel Roussel
Stig Dagerman
se suicide à 31 ans, en 1954.
ni l’écriture :
ni le spectacle de la nature :
ni la mort :
ne peuvent faire oublier le duel avec la peur où la vie cherche sa souveraineté. Il faut, en opposant la force des mots à celle du monde, se défaire de toutes les fausses consolations pour la seule consolation réelle : « celle qui me dit que je suis un homme libre, un être souverain à l’intérieur de ses limites ». C’est pourquoi le malheur se comprend aussi comme une chance. C’est pourquoi le malheur se partage entre désir et désespoir et permet à l’affligé d’implorer la liberté. Le cri de celui qui souffre fend le mal et lui permet de distinguer, à travers la permanence de sa douleur, un mirage, les bords estompés de la vie dont il est privé :
Consolation... Il y a dans ce texte, avec le désespoir dont il témoigne, l’annonce d’un ciel malgré tout, ciel avorté, ciel intérieur, impuissant à rien changer mais qui se souvient peut-être des divinités heureuses qui consolaient Sénèque... Ou qui dit s’en souvenir , quelle importance ? Chaque parole arrache une parcelle vivante au désespoir et transporte, colporte la fulgurance de ce départ. Est-ce allègement ? Est-on plus libre quand le désespoir se rompt et roule à travers le corps mais sans pouvoir le quitter ? Nulle issue. La parole fait briller la mort comme une naissance et anéantit pour toujours la non-vie. Le désespoir est pris dans cette parole comme poisson au filet. Étranglé, le désespoir grandit jusqu’à ce que le filet soit plein et que le mur d’écaille, trop lourd sur l’amarre, aille par le fond. Alors seulement, réconcilié avec celui qu’il emporte, le désespoir est pardonné. C’est enfin :
Quelle consolation pour celui qui parle? Ce qu’il voit, il nous le montre. Ce qu’il tait, nous le souffrons. L’élément de sa souffrance est le livre, l’élément de son désespoir est la parole à sa plus basse voix. Silence corporel où s’enfoncent tous les cadavres, le livre contredit ce que la vie affirme :
Silencieux, le livre se tient au partage des libertés, il veille les corps.
Alors oui, il faut que le désespoir dure encore un peu, juste assez pour permettre la rencontre entre la parole et la beauté, et que se prolonge :
Mais ce temps là ne se mesure pas en secondes. Le temps qu’il faut au désespoir pour avaler un homme, pour fonder, paradoxalement, le lieu où la parole s’incarne, a pour étalon la seule félicité : « [...] peu importe que je rencontre la beauté l’espace d’une seconde ou l’espace de cent ans. Non seulement la félicité se situe en marge du temps, mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie ». Mais Stig Dagerman, lui, se suicide à 31 ans, en 1954.
quelques liens Stig Dagerman Bio/Bibliographie de Stig Dagerman Stig
Dagerman ou l'innocence préservée, Article critique
du MdA sur
fluctuat.net, à propos de "notre besoin de consolation
..." extrait
de "notre besoin de consolation..." sur alternative libertaire, "le destin de l'homme se joue partout..." |