Écrire un texte, y dormir
Quand j’écris un roman je ne dors pas dans mon propre sommeil, ce n’est pas là que je rêve, je déménage mes nuits ailleurs.
Je dors dans d’autres sommeils, je les emprunte. Il en est qui se défilent, d’autres s’accommodent de mes allées et venues. Ces sommeils qui ne m’appartiennent pas ont des abeilles, des crimes, des écoles.
Je rêve dans d’autres rêves, je m’approprie des abattoirs, des chevelures, des couteaux. Je ne sais pas ce qui est en question, je ne cherche pas à le savoir.
Et ces rêves ignorent qui je suis. Je suis leur ombre indéchiffrable comme il y en a tant dans mon propre sommeil quand j’y dors [1]. Que l’ombre, d’eux ou de moi, soit indéchiffrable n’importe pas, quand on écrit ne peut être un souci.
Quand j’écris un roman je vais directement du jour à la nuit du texte sans en passer par moi. Je ne suis pas un détour obligé. Décliner toute place est source d’écrire.
Dans les rêves des autres sommeils il y a des mots rapprochés en phrases, pas toujours, certains sont isolés. Quand ils ne le sont pas il serait plus exact de dire : rapprochés en longueurs d’onde. Je les perçois ainsi. Ils vibrent. J’en prends acte sonore. J’en reconnais, que ma bouche articule, que je prononce. Tu les voles, me dit quelqu’un. Oui, je les vole. Ils se laissent voler.
Là, ce qui est dit est à dire, ce qui est vu est à voir, ce qui est entendu est à entendre.
Un jour, le roman est fini. Je reviens vers mon sommeil. Au début je patauge un peu dans la brutalité familière de mes rêves. Puis je m’y fais, je fais avec.
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Les Petits récits d’écrire et de penser ont été relus en juin 2011 pour les éditions publie.net où ils figurent au catalogue sous le même titre.
[1] Quand un autre m’y rêve.