Editions Le Pédalo ivre

#fabienneswiatly

C’est au festival Gratte-Monde que j’ai rencontré le directeur de la collection poésie du Pédalo Ivre : Frédérick Houdaer. Il est également à l’origine du Cabaret Poétique qui réunit un dimanche par mois, au Périscope à Lyon, des poètes et poétesses devant un public où se mêlent tous les âges. Dix ans que cela dure. Pratiquement sans argent, juste du désir. A la fin des lectures, on boit une ou plusieurs bières. On achète quelques livres. On refait le monde puisqu’il sait si bien se défaire tout seul.
A la question du pourquoi publier de la poésie, la réponse de Frédérick Houdaer est claire "J’ai eu envie de défendre la poésie narrative qui est peu mise en avant chez les autres éditeurs. C’est aussi simple et impératif que cela."

Une vingtaine de titres ont été publiés dont quelques succès comme le Citronnier de Samantha Barendson (réédité par Lattès) et Mon Vrai boulot
de Grégoire Damon qui a depuis publié un roman chez Buchet/Chastel. Et c’est par cet auteur que j’ai rencontré le Pédalo Ivre. Livre qui m’accompagne souvent quand j’interviens dans les lycées, qu’ils soient pro ou pas :

Vingt cinq minutes

Trois ans de carrière
dans une enseigne de restauration rapide très connue
depuis trois ans je me lève
en me demandant de combien de bœufs de poulets et de porcs
je suis directement responsable de la mort
vingt cinq minutes
c’est mon temps de trajet quotidien
vingt cinq minutes de jambes
vingt cinq minutes à me faire pousser des jambes dans la tête
vingt cinq minutes
C’est le temps d’un accouchement de poème au forceps

(...)

quoi que dise la météo quoi que vendent les gros titres
je tape
mon clavier d’ordinateur c’est mes altères
et mes compléments alimentaires
et mon abonnement à la salle de sport

Plus ça avance et plus je tends à penser
que tout ce dont je suis capable littérairement
c’est de me gratter les cacas d’œil au réveil

Avec Frédérick, la discussion est sans effets de manche. On fait des détours par le cinéma, le kung-fu, et Léonard Cohen. Brautigan n’est jamais loin. Forcément.
Puis avec un demi-sourire aux lèvres, il me propose de parler plutôt des Editions Le Clos-Jouve qu’il vient de créer avec le journaliste Philippe Bouvier : "J’ai mis la poésie un peu en veille. J’avais envie de me frotter à d’autres formes d’écriture. Plus proches du roman ou du récit. Le fragment également."
On sent chez lui, le besoin d’échapper à tout type d’enfermement. D’aller voir là-bas, ailleurs, comment ça s’écrit. Ce qu’il a déjà fait, il y a une quinzaine d’années, en s’éloignant du polar alors qu’il en écrivait lui-même.
" Je ne cherche pas à gagner ma vie avec l’édition. Rentrer dans mes frais, c’est déjà bien. Ce n’est pas mon métier et cela me rend libre. Je veux faire connaître des textes que j’apprécie. Et parfois ces textes peuvent se ranger dans le registre poésie, et parfois non."
Puis, on évoque ensemble la nécessité de partager la poésie sur scène. De la faire entendre. Poésie vivante qui ne cherche pas à impressionner mais à dire.
Comme les mots du traducteur et poète Laurent Bouisset qu’il a publié avec le titre Soleil Plouc  :

Un pastis au Mezcal

tant de stupidités ouïes
d’un même côté de l’océan
nous donnent envie de
foutre le camp de l’autre
affaires cessantes
mais là-bas l’idiotie aussi grande
et le langage à terre a honte des hommes
alors on part
ou plutôt : on repart
exactement là d’où l’on fuit
où dans l’hypercentre admiré d’un hexagone
le désir a l’allure d’un pet bloqué
la tendance au cafard des nantis nous ballonne
et les poètes géniaux parlent tout le jour
de quoi ? des gens ? mais non, voyons :
du fait qu’ils parlent ! du fait qu’ils parlent !
ils le répètent beaucoup ...
le réaffirment et font mousser :
parler est vain ! parler est vain !
alors ils parlent
il s parlent encore sans fin :
du fait qu’ils parlent ! du fait qu’ils parlent !
apparemment ensemble
alors qu’entre eux, il y a LA LANGUE ...
il y a la langue affreuse qui règne ...

Pas besoin de savoir nager pour pratiquer le pédalo et c’est ici :
Editions Le Pédalo ivre

© Crédit photo : fabienne swiatly

27 décembre 2019
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