Gérard Haller et Jean-Luc Nancy : à écouter sur remue.net

Remue.net avait réuni vendredi 16 mai 2008 Gérard Haller et Jean-Luc Nancy pour un échange autour de Fini mère, le dernier livre de Gérard Haller. La soirée fut l’occasion d’une magnifique lecture croisée, Gérard Haller et Jean-Luc Nancy prêtant tous deux leurs voix pour cette lecture.

Belle intensité que l’on retrouve ici.

Après cette lecture, un échange entre Gérard Haller, Sébastien Rongier et Jean-Luc Nancy (ainsi que la salle) autour du livre, sa lecture et son écriture.

Enfin, pour clore ce moment, Jean-Luc Nancy propose deux extraits de « Pour accompagner Michel Deguy » en écho à la soirée.

rencontre Gérard Haller | Jean-Luc Nancy, temps 1


rencontre Gérard Haller | Jean-Luc Nancy, temps 2


Ci-joint le texte lu par Sébastien Rongier le 16 mai, texte envisagé comme une simple entrée en matière pour nourrir quelques questions.

« Je vais mourir elle dit » lit-on au début de Fini mère [1]

Voici ce qu’écrit Sereine Berlottier sur remue.net à propos du dernier livre de Gérard Haller :

« Une mère meurt.
Ce sont des choses qui se vivent dans le noir, l’entre-deux, le très privé.
Pourtant vous entrez, et vous dites : Je suis là vous dites, et dans ce vacillement de personnes vous y êtes aussi, lecteur, puisque lui vous convie à ce partage-là.

« c’est le soir. C’est dans la chambre devant la forêt ici où elle regarde le noir maintenant venir » [2]

Et souffle à souffle un homme est là qui dit « vous », qui regarde sa mère mourir, et lui parle. Il y a peu de mots. Ce sont les mots essentiels d’une présence, d’un regard, d’un souvenir. Ce sont des mots de bord de lit, à front baissé, venus très bas, de très loin, l’enfance même. Ce sont parfois les mots d’une langue autre, langue mère : les mots Garten et Licht, les mots Nacht, Angst, répétés.
Il y a en ce lieu à lutter contre l’asphyxie, contre l’effroi, contre le noir qui vient, dedans, dehors. »

Fini mère, un dialogue, dialogue avec l’absente, avec l’absentement saisi par l’écriture. Ce dialogue intense s’entend par exemple dans la litanie des « tu étais », et le drame sourd qui se joue entre le « tu » et le « étais », entre l’adresse et la temporalité passée. Elle est là, dans un passé si proche de nous, elle est là, ce « tu » comme une prière répétée, une litanie interminée.

« Je vais mourir elle dit »
C’est un renversement que seule l’écriture peut saisir.
Les quelques mots d’allemand déjà relevés sont les traces, l’empreinte maternelle d’une langue avec laquelle Gérard Haller se débat de livres en livres. Mais dans Fini mère, c’est l’italique de Heim, Tod ou Schön qui frappe, l’italique comme pour creuser le vacillement intérieur, le tremblement intime des mots, de la langue et de l’écriture.
L’écriture cherche ici à fonder un dialogue avec les morts, ceux qui étaient vivant juste-avant et qui reviennent dans le livre. Il s’agit de dire ce qui n’est plus et le faire persister comme n’étant plus.

Aussi le travail de la coupure est-il déterminant dans l’œuvre de Gérard Haller et dans ce texte en particulier.

Avec Fini mère, il s’agit d’écrire comme on arrache un fantôme à sa nuit.

Déjà dans Commun des mortels, on pouvait envisager la langue comme un « cocon hanté » [3].
« nous sommes l’éclat ou la déflagration continue du Nom à quoi nos paroles font écho » [4]
Le fragment qu’il reste dans le dire du poème permet d’entretenir un dialogue avec le battement du fantôme.

... ce « battement de lumière » qu’on lit dans All/ein [5].

Le fantôme (si l’on veut bien comprendre par fantôme l’insistance d’un déjà-plus qui fait revenance et trace de mémoire, c’est-à-dire un toujours-déjà-là qui apparaît comme absence, qui revient comme absentement), le fantôme, donc, est ce battement de l’écriture qui vacille comme présence d’une absence. La mère comme cœur de Fini mère est un fantôme qui, des yeux au noir en passant par le ciel qui tombe rend possible un battement d’écriture, une présence.

 

Sébastien Rongier

21 mai 2008
T T+

[1p. 21

[2Fini mère, p. 17

[3p. 23

[4p. 47 de Commun des mortels

[5p. 98 et voir également p. 78