« le “saut” du roman m’a toujours paru évident », Leslie Kaplan
Le site de Leslie Kaplan.
En 2013, création de Déplace le ciel au Théâtre des Lucioles.
Leslie Kaplan aux éditions POL
chez publie.net
sur remue.
D’une certaine façon il me semble qu’un texte littéraire, quel qu’il soit, est toujours une mise en scène de la pensée. En tout cas, une des choses que je veux écrire est comment on pense, comment penser, et comment on peut s’arrêter de penser. Et comment on est bête. C’est pourquoi le dialogue m’a toujours intéressée, puisque penser c’est toujours penser à deux, y compris quand on est seul. Le dialogue ne peut pas être naturaliste (sinon, quel ennui), il exige une concision, une invention de la concision. Au théâtre ce qui est passionnant, c’est qu’on sait que tout sera interprété par les comédiens/comédiennes. Donc c’est intéressant de trouver des formes (de théâtre) qui laissent la place, qui sont ouvertes (au corps, aux possibles de celui/celle qui interprète). C’est là où le théâtre rejoint, alimente, et questionne pour moi le roman.
Écrire un roman au XXIe siècle vous semble-t-il difficile ou évident ? En d’autres termes, la forme du roman vous paraît-elle dépassée ainsi qu’on l’entend souvent ?
Écrire un roman ici et maintenant est ni plus ni moins difficile que penser, ici et maintenant (au XXIe siècle).
Dans vos lectures, y a-t-il surtout des romans ou trouvez-vous votre « nourriture » plutôt ou autant dans d’autres genres de livres – et si tel est le cas, lesquels ?
Mes lectures, toutes les lectures, passent dans le roman : autres romans, souvent des relectures, mais aussi de l’histoire, des essais, etc. Par exemple : Freud, Arendt, récemment le livre de Vinciane Despret, Que diraient les animaux si on leur posait les bonnes questions ? ou le livre de Pierre Dardot et Christian Laval, La Nouvelle Raison du monde… En ce moment je lis Saint-Just et des histoires de la Révolution française, et aussi Jean-Christophe Bailly, La Phrase urbaine et Le Parti pris des animaux. Et passe aussi dans le roman l’amour du cinéma, et des textes sur le cinéma. Là j’ai relu un numéro spécial des Cahiers du cinéma sur John Ford, et je relis toujours Serge Daney.
Que privilégiez-vous dans l’écriture d’un roman ? Une action, des personnages, une forme, un point de vue ?
Une narration assez large pour présenter un point de vue sur le monde, des personnages qui prennent en charge l’histoire, une fiction qui crée une distance : le « saut » (Kafka) du roman m’a toujours paru évident. Mais il me semble non moins évident que la forme de chaque roman est à réinventer chaque fois, selon l’histoire, les personnages, les enjeux… (et c’est bien sûr ça le plaisir d’écrire). L’intérêt de la forme roman c’est que tout peut entrer dans un roman, et en l’écrivant on a ce sentiment souvent, presque physiquement (ça ne veut pas dire que tout tiendra, restera).