Marie Huot | Blanche-la-démunie (extraits)

 

Se pourrait-il que Blanche traverse la mer sans secours
maintenant qu’elle est vivante à nouveau et
se débat contre la vitre
avec la volonté d’une petite phalène couleur de paille

En elle git le secret des ombres que l’on distingue à peine

Si Blanche traversait la mer sans secours
quelqu’un allumerait un grand feu de rivage
pour l’attirer vers les brisants

Il se trouve toujours quelqu’un pour le faire

 

*****

 

Quand Virginia a marché dans la rivière
c’est Blanche qui chantait dans sa tête
dans la tête de Virginia je veux dire

Une chanson
pour bercer le corps endolori la pensée consternante
une chanson à bouche close
qui remplissait la tête tout entière

Si quelqu’un était passé par là
si quelqu’un avait pris la main
Blanche aurait étreint la main
mais rien de cela n’est arrivé
et Virginia et Blanche ont sombré avec la chanson

 

*****

 

Les maisons des morts ont des fenêtres rondes
et des lampes allumées à toute heure
pour brûler le jour

Les morts aiment brûler le jour
et manger des citrons

Ils trouvent une sorte de joie
dans l’éclat
le jaune
le lustre
c’est un faste qui leur tient lieu de bijoux
ou de magot pour l’éternité

Et Blanche
ma Blanche toute luisante de bonté
va vers eux avec la nonchalance d’une
« femme tranquille au miroir »

 

*****

 

Le bois joue un peu
les jours torrides font craquer le plancher
mais nous ne savons rien de la vie secrète des choses

Nous vivons avec elles
et c’est avec elles
que nos corps entiers prennent part aux jours

Nous ne sommes pas faits pour de grandes destinées
un grain de sel nous incline
un grain de poivre nous réveille la nuit
nos chambres cachent des bruits inquiétants

C’est pourquoi Blanche préfère dormir
dans l’étable avec les troupeaux

 

*****

 

Pour Marc Graciano

Quand Johanne allait à cheval dans les forêts
et que nul ne connaissait encore
le destin funeste qui l’attendait
Blanche était jeune écuyer au service de la fille
et l’accompagnait
et l’épiait
et la lavait la nuit venue

Johanne avait deux petits poings serrés
sur les hanches
et invoquait dieu et tous les saints
comme on harangue la foule
d’un air bravache

Puis s’agenouillait en un silence épineux
que Blanche recevait de front en violente bourrasque

 

*****

 

Blanche a froid aux yeux
elle est démunie
et n’ose rien

Mais elle se souvient comment amorcer l’hameçon
ou s’accouder au comptoir
avec les désespérés

Elle est toujours prête à parler flibuste
ou révolution
et cela lui donne soudain l’assurance
d’une vraie crâneuse

 

*****

 

Avant d’être figuier
Blanche eut quatre enfants
Grillon
Miracle
Colchique
et Nour l’oranger

Chacun prit pour cible
un point cardinal
et s’y jeta à la vitesse de l’éclair

Ce n’est pas que Blanche se sentait crucifiée
mais que faire
que faire hélas
et longs soupirs

Elle fit couper ses cheveux et bu des herbes aigres
s’efforçait de ne rien remarquer du passage des ans
et disait à qui voulait l’entendre
laissez-moi tranquille
j’ai toujours la possibilité de vivre de grandes aventures

 

*****

 

Une nouvelle fois Blanche est morte
le vent était plein d’épines
troussait le fleuve
et le griffait
on y voyait de légères écailles

Blanche est morte elle est la terre

Le vent chaud qu’on lui a soufflé au visage
a brûlé ses poumons

Elle s’est éteinte peu à peu
en quelques unités de temps inconnues de nous
mais qui pouvaient tenir
dans un geste de bras

Une unité de temps pour les hommes
et pour les bêtes ensemble
mais que nous n’avions pas apprise

 

*****

 

A Odessa au bord de la mer
Anna enfouit sa robe jaune dans le sable
et nage loin
elle parle avec les pêcheurs les morts
et guette les navires

Une robe jaune est un morceau de choix
dans le paysage

Et Blanche qui vient aux heures crépusculaires
l’invoque
par-dessus les villes
les quartiers saumâtres
la ruine des saisons

Dans l’inventaire du monde
la robe jaune d’Anna est un étendard
l’éternelle faim de la jeunesse

 

*****

 

Blanche et moi n’avons aucune idée de qui nous sommes

nous nous tenons à un moment du récit
où tout pourrait prendre une tournure inattendue

– et c’est pourquoi les récits sont faits
pour tenir les êtres sous leur coupe -

Les poèmes sont tirés d’un pommier

décide-toi dit Blanche
et penche pour une vie heureuse
nous aurons des ruches
et nous remonterons la rivière
autant de fois que nous aurons de jours

Blanche connaît mon goût pour les rivières
mais elle ignore quel larron je suis
quand l’occasion m’est donnée de disparaître dans la brume

 


Extraits de « Blanche-la-démunie », travail en cours.
Illustration (détail) : Marc Corigliano

18 juillet 2024
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