Philippe Dollo | No Pasa Nada, 7ème fragment
Journal, septembre 2016.
Mercredi 28, Rivesaltes.
Balade dans l’ancien camp militaire partiellement brûlé ouvert à tout vent ; près des stèles commémoratives, les vestiges du site d’entraînement des parachutistes, les ruines des baraquements. Tout cela sera probablement rasé bientôt pour faire place à de nouvelles structures de bureaux, d’industries ou autres centres commerciaux.
La terre noire en poussière, la caillasse rougie et les brindilles couvertes de cendres qui tracent des zébrures sur le pantalon, nous plongent dans une ambiance surréaliste de post-catastrophe et prolongent la forte émotion ressentie au mémorial ce matin…
Jeudi. 29. Sur la route.
Comme la veille, pas un nuage, la journée s’annonce douce et splendide.
À la sortie de Perpignan, nous filons plein sud vers Le Boulou et Le Perthus, par où nous sommes entrés en France deux jours plus tôt, avant de prendre la direction de Cerbère. Arrêt à Elne pour une visite émouvante de la célèbre maternité d’Élisabeth Eidenbenz. Brunch très agréable dans ce bourg hors du temps, à l’intérieur d’un jardin calme et fleuri entouré de vieilles pierres. À l’entrée, un vieux luthier bosse sur ses bois.
On continue sur Argelès où l’on erre encore à la plage sur la partie nord de l’ancien camp. Il y a beaucoup plus de traces que prévu. Vestiges émoussés des fossés d’où sortent des piquets rouillés et des morceaux de ferraille dont on ne sait pas si ça date de l’époque de la Retirada ou plus tard.
Plus bas, il y a un mémorial entouré d’immeubles modernes. C’est ici, semble-t-il, que se trouvait l’entrée de ce camp immense, même s’il n’était pas aussi étendu que celui de Rivesaltes.
En partant, on s’arrête encore au cimetière dit des Espagnols. Pas de tombe car une inondation a détruit les stèles il y a longtemps.
Reste l’Arbre aux enfants, planté au moment de la création du cimetière, mémorial pour les soixante-dix enfants de moins de dix ans décédés dans le camp.
On trace le long de la côte par les petites routes, jusqu’à Cerbère que l’on atteint en début de soirée sous une lumière magique…
Notes, septembre 2017.
La Retirada ; la Retraite.
Même s’il n’a pas été unanimement adopté d’emblée, l’euphémisme s’imposera finalement pour qualifier l’exode tragique de près d’un demi-million d’Espagnols vers la France en plein hiver 39, puis l’horreur des nombreux camps d’internement où les réfugiés seront parqués.
Après la défaite de l’Èbre, Barcelone tombe aux mains des franquistes le 26 janvier 1939. Le fait que le camp républicain se retrouve coupé en deux déclenche dans sa partie nord l’un des premiers grands exodes de l’ère contemporaine. Soldats, femmes, enfants, vieillards affluent par milliers vers les passages frontaliers pour la France. Pris de court, le gouvernement Daladier ouvre la frontière le 28 janvier.
Rien n’a été prévu sur le sol français, même si l’issue du conflit était déjà anticipée. Engluée dans sa politique de « non intervention », le gouvernement français est politiquement en situation d’attente vis-à-vis de Franco depuis les accords de Munich en septembre 38.
Les campements de montagne sont abandonnés. Les familles sont séparées.
On ouvre à la hâte un premier camp d’accueil sur la plage d’Argelès. Quelque 77 000 personnes y dorment à même le sable sous le vent de l’hiver. Des baraquements sont sommairement construits derrière les barbelés.
Dans la préface du livre Février 1939, la Retirada dans l’objectif de Manuel Moros, Josep Sangenis raconte :
« Camp de concentration d’Argelès... Là aussi, les souvenirs me font froid dans le dos. Nous dormions dans des trous dans le sable avec une couverture pour nous abriter du vent [...] Il n’y avait rien. Pas de baraque, pas un abri. Que du sable et des barbelés. Pour tous nos besoins naturels, il fallait aller à la mer sous les regards moqueurs de certains gardes. Je me rappelle que les femmes faisaient un cercle autour de celle qui s’accroupissait. C’était ainsi la seule intimité qui leur restait. La nourriture s’est améliorée un petit peu mais les conditions sont restées les mêmes durant ce très long hiver 1939. »
D’autres camps de concentration apparaissent : le Barcarès, Rivesaltes, Bram, Saint-Cyprien…
Il y en aura quinze au total ainsi que trois prisons, comme la forteresse de Collioure. L’exode s’achève le 13 février lorsque les nationalistes occupent les postes-frontières et coupent la route de l’exil.
Fin février, Daladier reconnaît le gouvernement de Franco…