Première rencontre
Lundi 13 septembre 2021. Je rencontre deux groupes d’élèves de 3e du collège Elsa-Triolet.
Un premier groupe d’une douzaine des jeunes est déjà installé, en arc de cercle devant le tableau, dans un CDI tout rénové durant l’été. La professeure-documentaliste me présente en quelques phrases, et je m’installe face à eux, un peu tendue. Je leur explique la raison de ma présence, la chance que l’on a d’aller à rencontre de jeunes gens, juste parce que l’on écrit des livres. Je leur demande s’ils connaissent des auteurs. Des rires fusent. Les noms de Molière et de Shakespeare sont prononcés. Et des vivants ? Silence ou presque. Je leur raconte que beaucoup de personnes écrivent et publient aujourd’hui, des vieux et des jeunes, des femmes et des hommes dont les noms ne diraient pas forcément grand-chose. Ma résidence, leur dis-je, aura pour thème la musique, la mémoire auditive. Ont-ils déjà accumulé des souvenirs liés aux sons, aux bruits, peut-être à la musique ? Certains répondent et d’autres rient. Alors on passe à l’écriture : Si j’étais un instrument de musique…. Je serais… Une guitare ; une guitare ; une guitare ; une guitare électrique. Enfin une flûte traversière. Je vois déjà les regards brillants de ceux qui ont envie de revenir, qui formeront les volontaires de l’atelier. Je vois les embarras de ceux qui ne reviendront pas. Je sens aussi l’effort que tous fournissent pour rester calmes et concentrés. Les trois dernières minutes, ils m’échappent. Et finalement s’échappent comme une nuée d’oiseaux à travers les couloirs du collège.
Le deuxième groupe arrive. Plus dissipé peut-être. J’explique encore, donne quelques instructions. Madame, madame, c’est quoi déjà ? On doit écrire quoi, déjà ? Je répète : Un souvenir lié à une musique, une chanson, un bruit. Certains se concentrent sur leur feuille. D’autres murmurent des blagues. Dans un sac, je rassemble les réponses de chacun, les mélange, les fais piocher : nous allons mutuellement nous lire. Quand j’entends telle chanson, je pense à telle série. Quelqu’un, pourtant, répond qu’en entendant le crissement des roues d’une voiture, il ou elle repense aux 14 heures de route qui l’ont mené.e jusqu’au Cachemire.
Soudain, je tente une expérience : je leur propose de lire un extrait d’un de mes livres. Nous avons, ce week-end, commémoré les vingt ans du 11 septembre 2001. À cette époque, je vivais à New York. J’ai raconté le choc de ce jour-là sur quelques pages dans Une fille de passage. Vous voulez que vous le lise ? Un grand OUI traverse la pièce. J’ai peur. Je vais les ennuyer. Ils vont rire, bavarder.
J’avance avec prudence dans mes phrases, une première puis une autre, et puis une autre encore, mais je n’entends aucun rire, aucun murmure, juste mes mots qui résonnent. D’un œil furtif au-dessus de ma page, je regarde les visages, respectueux, attentifs. Le silence est total : ils m’écoutent. Et j’en ressens une vive émotion.
À la fin, la même question va revenir par trois fois, même après que j’aurai répondu Oui, je l’ai vécu, comme si cela leur semblait impossible, un véritable mythe : Madame, madame, c’est vrai ? C’est vrai ? Vous y étiez vraiment, le 11 septembre, à New York ?