Julie Gresh / Nour, sept images
Après un DEA de littérature, Julie Gresh vit et travaille pour l'instant au Caire.

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Elle, front contre le mur humide. Elle préfèrerait voir. Lui, l’absence de son regard l’allège. Ils sont deux, solitaires, ils pourraient être plus.
D’ailleurs, elle pense : Et derrière ce mur ?
Lui il agit pioche et fouille, pille.
Elle trésaille, parce que le mur est froid ? Parce que ses doigts la glacent ?

 

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Sur eux les autres marchent, mangent, vivent en étage. Avec eux, les morts, ceux qui se sont pressés davantage et à qui maintenant elle parle, le grand-père et ses tuyaux d’oxygène, Esméralda qui ne voulait plus manger, Mathieu qui faisait du stop sur l’autoroute.
En transparence, elle voit le Parking : carcasses de taule, de rats.
Elle cherche une réponse et qui serait elle connaîtrait la question : Moi, où ?
Le silence de sa voix bu par le mur en orifice. Elle voulait le rebondissement sec de l’écho, mais évaporation liquide.
Lui aussi cherche les orifices, mais tout à coup ce corps en croix l’effraie.
De quel droit ?
Il frappe.

 

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Elle à genoux. Ce pourrait être une chapelle, mais moderne, mais urbaine, mais grise. L’idée l’amuse. Elle décide " arbitrairement " de s’enfoncer dans la mythologie. Plus tard tout sera arbitraire.
Elle visualise les images de ces sacrifiées de pacotille, maculées, découpées, étouffées, hachées ?
La perspective lui échappe. Elle ne situe plus. Elle retrace mentalement le colimaçon des escaliers. Elle sait : elle est en bas.
Culbutent alors en elle souterrains, sources, sous-marins et toute la surface non immergée du monde.
Toute entière à ce qui prélimine, elle énumère et crée l’espoir.
Elle comprend l’univers vertical. Plus tard elle connaîtra la nausée des profondeurs, son vertige. Pour l’heure, elle l’ignore.
Lui se connaît davantage, exige, enfonce, enfouie, dirige. Il parle, pour lui-même peut-être, pour l’autre probablement. Il parle, le reste n’est plus qu’une vaste caisse de résonance.
Ses mots s’emboîtent dans ses mots en poupée russe. Sa verge s’emboîte dans la bouche de l’agenouillée.
Elle se tait, agit et agite.
Ce serait la chapelle d’une vierge sans voix.

 

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Un couteau, un cou, des mots : ils font connaissance. Elle n’est pas encore nue mais lui la désire. Il la nomme. Elle est successivement Julie, truie, pute, terrain de fouille. Elle n’est pas sûre de s’y reconnaître. Plus tard elle oubliera son nom. Nour, Lumière. Pour l’heure, elle vacille. Les murs s’ébranlent, lui se branle, mais partagé.
Elle entend les moteurs vrombir, à moins que ce ne soit lui. Elle n’est plus capable de discernement. Ce qu’elle sent, c’est un démarrage : elle au centre, le reste s’embouteille et pollue.
L’autre voudrait prendre le temps d’améliorer l’histoire. Violemment le décor lui semble étroit, insuffisant : elle et ses deux seins, son cul, ses deux bras.
Il l’anime, lui invente queue et truffe, relents de détritus, grognements d’égorgée. Les métaphores l’excitent. Leurs mythologies se rejoignent.
Elle se souvient d’elle-même, tout à l’heure, des siècles en amont, les arbres du Parc Montsouris.

 

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Le sursaut de la lumière les fige en angle droit, leurs gestes en apesanteur, souffle coupé de qui connaît la route et prévoit l’affolement.
Peut-être que pour la première fois leurs regards se longent dans une peur parallèle. Elle tremble d’être à nouveau lourde d’une conscience et d’un corps.
C’est l’heure de la bascule. Ils sont de l’autre côté. Elle recouvre la parole, ordonne à l’autre devenu maigre.
Peut-être que pour la première fois leurs mots s’intersectionnent dans un projet commun : il veut ne plus être là. Elle le veut là où elle n’est pas.


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Elle tourne et cherche la surface, poissonne asséchée.
Ce pourrait être l’ascension d’une vierge mais citadine, mais sans hymen. Lui, de l’autre côté déjà, ferraille, taule, béton, anonyme dans un monde trop nommé, silencieux dans un monde en fracas, anodin dans la violence commune.
Elle, debout, réintègre la verticalité du monde, et que finalement, ascenseur, escaliers, tout en est pareil et se termine en chute.
Elle compresse la hauteur. Ses vêtements à terre. Peut-être qu’elle ne les voit pas. Peut-être aussi qu’elle redoute cette courbure vers le sol, et se perdre définitivement dans la scoliose des caves.
Elle force le passage, c’est son tour de pénétrer. Elle s’égoutte marche à marche, abreuve le béton du sang des sacrifiées. Elle avance, nue. Idée fixe, poing tendu, clefs en armes.
Elle anticipe la lumière prochaine : pour l’heure, c’est celle du fer dans la pierre.

 

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Ce pourrait être une incantation, mais urbaine, mais sinistre, mais sans appel.
Une façade d’immeuble quadrillé et courbe, beige.
Des balcons qui prolongent des balcons dans une perspective de balcons.
Ce serait une incantation sans hauteur, une plongée, regard tombé dans la rue grise en contrebas, puis escalade des étages qui se couchent les uns sur les autres en mille-feuilles.
Elle hurle, et qui la regarde de derrière un rideau connaît sa folie.
Elle est là, et pourtant béance et chose informe, offerte, pillage dont on témoigne.
L’autre, de derrière son rideau observe l’attraction du vide sur la femme.
S’inquiète-t-il de son fléchissement ?
La réponse est silencieuse, immobile, peut-être seulement cette tête qu’il penche comme par mimétisme

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