Sablonchka

Roman de Franck Doyen


Allongée dans son hamac, avec à portée de main son inséparable AK-47 03, une sentinelle attend la relève. L’homme ne s’impatiente pas. Selon ses calculs cela fait vingt-deux ans et vingt-deux jours qu’il a pris position. Il ne sait pas ce qui se passe à la surface du globe. Se contente de veiller à sa survie. Tous ceux qui étaient en mission avec lui sont morts. Tombés du hamac, six mètres plus bas, et dévorés par les bêtes.

« Aujourd’hui c’est la relève vous avez du travail. Il faut nettoyer un peu le terrain avant l’arrivée probable d’un nouveau groupe de sentinelles afin que les morceaux de tibias de doigts d’orteils abandonnés négligemment par les animaux n’effraient pas de nouvelles recrues. »

L’histoire se déroule à la fin du vingt-troisième siècle. Elle ne peut toutefois pas être dissociée de ce qui s’est passé sur terre durant les siècles précédents. Tout a basculé en quelques décennies. Le point de rupture a été atteint. Il y a eu des cataclysmes, des raz de marée, des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, des accidents nucléaires en série. Le Japon a disparu de la carte. Les petites communautés qui avaient tenté de vivre en harmonie ont fini par s’anéantir en un bouillonnant bain de sang. L’être humain a subi plusieurs modifications corporelles. Les philosophes ont été contraints de revoir leur copie. La faune et la flore n’ont cessé de muter. De nouvelles espèces sont apparues. La sentinelle vit à leurs côtés.

« En plein jour les animaux se trouvent en équilibre souvent instable dans les arbres vous pouvez cueillir alors aisément à l’aide de longues gaffes votre repas quotidien. Les bêtes vous laissent tranquilles et vous les laissez en paix : il y a bien longtemps que vous ne mangez plus de viande et quelquefois vous venez à penser que c’est là la raison de votre survie. »

La solitude de la sentinelle s’atténue quand sa pensée commence à se nourrir des vies de Sablonchka, qu’il a rencontrée, et dont l’existence reste entourée de nombreuses légendes. On lui attribue plusieurs destinées, en différentes époques. Elle serait née dans la rue ou dans la steppe, près d’un lac sacré ou dans l’appartement d’un couple de politiciens de la fin du vingtième siècle. L’homme au AK-47 03 se souvient simplement d’elle et souffre de son absence.

« Sa totale indépendance et sa grande liberté vous ont toujours fasciné et torturé. Vous avez perdu vous avez cru perdre le sommeil lorsque Sablonchka a disparu vous avez cru perdre le sommeil et la faim et la vie. »

Franck Doyen construit et déroule un roman d’anticipation envoûtant. Son immersion dans le monde végétal, au contact de plantes et d’animaux aux noms fabuleux, sa langue vibrante et foisonnante et l’habile construction (narrative et descriptive) de l’ensemble y sont pour beaucoup.


Franck Doyen : Sablonchka, Le Nouvel Attila.

Jacques Josse

29 novembre 2019
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