Sismo·paragraphe [27 03]
On note le chant du merle comme si c’était une conversation. La première violence c’est l’exil. On reviendra tout à l’heure sur la question du parachute. Il n’y a pas eu de discussions préalables. Je sais combien j’ai changé. Je sais combien je suis vieille. Pardon. Pardon, qu’est-ce que vous remarquez ? La tessiture. Ah, ça fait silence. Ce que je souhaite, c’est que vous vous habituiez à entendre. Pas comme un phénomène vertical, mais comme un phénomène horizontal. Joue très vite. Très vite. Beaucoup plus vite. Je ne sais pas l’effet que ça vous fait. C’est une espèce de communion. On fait des courses dans l’escalier. Je me souviens de discussions qui devaient l’amuser, ça devait être assez comique, il m’aimait. Est-ce que vraiment les dissonances t’ont semblé intolérables ? Tout à coup on s’avise d’une nouvelle perspective. C’est le contraste des tons. C’est le contraste des sentiments. Il faut une idée entre le passé, le présent et un avenir qui paraît inabordable. Du changement. Mais rupture, je n’aime pas ce mot. On ne revient jamais en arrière. C’est la femme de Loth, si elle se tourne en arrière elle est changée en statue de sel. Mais vous pouvez aller en avant. On ne peut pas être catégorique, si on a vécu un certain temps. Beaucoup de gens viennent là par gentillesse. Tout à coup, un ordre brutal paralyse toute forme de liberté, c’est de la folie. Et à l’inverse, le spontané bouche des perspectives. Si j’avais et l’intuition et le raisonnement ce serait superbe. Je me sens être quelqu’un qui fait son métier correctement. Bien écouter, bien entendre, pouvoir transcrire. Ça paraît modeste. Un objectif. Tenir. Tenir à tout prix. Ça reste une histoire d’humain qui a un peu raté. Y’a des piscines. Y’a des magasins, des choses comme ça. La destruction est là pour faire oublier une sorte d’erreur. Maintenant on se retrouve en face de l’échec. On est dans des schémas et des carcans qui ne laissent plus de place. On fait des études de capacité. Vous ne réfléchissez pas à la vie des gens. L’escalier fait peur. Vous ne trouvez pas la lumière. Y’a pas de fenêtres. On a oublié que les gens pouvaient se croiser. C’est une tristesse infinie, je peux le dire comme ça, tristesse infinie. Se battre est compliqué. Beaucoup n’ont pas pu le faire parce qu’il faut manger. Avant de passer à la nostalgie, un point de départ : accepter l’héritage. Ce qui nous ramène à toute cette empreinte du passé et des fantômes. On sait réparer. Mais, à un moment, on a décidé de faire table rase. Quand on voit la violence des bulldozers, faut s’y préparer. C’est vraiment très très violent. La démolition, c’est pas seulement le coût du bulldozer. C’est aussi le coût du reste. De ce qui n’est plus là pour fédérer. À l’époque, on avait le sentiment que les lendemains chanteraient davantage. Ces renoncements qu’il faut faire. L’histoire était inéluctable. En première ligne. La première ligne, on meurt à la guerre, la première ligne est sacrifiée. Je ne crois pas à la nostalgie. C’est plutôt une leçon de résistance. Moi ça m’a touchée. Ces images. Cette espèce de jaune de la pellicule. C’est la question du récit. Comment on l’accroche au lieu, le récit. En réparant, il faut recoudre ce récit. Ça passe parfois par de petites choses. On n’est pas forcé d’accepter une décision absurde. Il y a tout ce que ça pourrait devenir. Vous lirez ou vous ne lirez pas, mais au fond c’est une histoire qu’on écrit ensemble. Cette disparition, c’est la disparition d’une pensée collective. Et puis quand même l’histoire du bonheur. Évidemment, on peut être pessimiste, il y a de la vulnérabilité. Mais justement, la fonction de réparation, ce n’est pas une histoire triste. Ouverts aux quatre vents, les murs s’effilochent. Et il y a la façon de regarder. Moi, j’ai regardé avec de l’amour.
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mode d’emploi d’un sismo·paragraphe