Un petit tour au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget

Premier atelier à destination de jeunes suivis par Espoir 18, association « qui œuvre à l’insertion et à la socialisation des jeunes dans les quartiers populaires parisiens ».


Le jour d’avant, nous passons du temps avec Hubert Reeves et son L’univers expliqué à mes petits-enfants. Science, poésie et questions que nous nous posons, ce que nous en comprenons.

Le lendemain, c’est pour la plupart d’entre eux la 1re fois qu’ils vont dans un musée.
On commence par les débuts de l’aviation ; ils foncent et jouent à se bousculer, en prenant des vidéos sans trop regarder, pour partager sur les réseaux.
Puis derrière un panneau, F. appelle ses potes : “Regardez !“
Il touche le portrait de je ne sais qui, dans un énorme cadre doré travaillé, sa main posée à plat sur le visage ; l’huile est heureusement recouverte d’une vitre. “Ça vaut cher, si on le vole ?“ Sami, qui les accompagne, les engueule : dans un musée, on ne touche pas (— en tout cas, dans celui-ci, il n’y a pas d’alarme !!).
Le portrait est sans intérêt, mais ça doit être l’idée qu’ils se font de la peinture et d’un musée, des choses chères présentées avec ostentation.
À côté, les maquettes des 1ers avions sont moins reluisantes pour eux, leur construction et le fait que ces choses aient pu voler ne les émeut guère.
Voler, voler, ça me rappelle un policier dans un aéroport qui m’a souhaité ’Bon vol !’.

Après ce 1er aperçu, on va directement dans l’espace, fini la lumière du jour, il fait noir !
À peine arrivés dans la salle à plusieurs étages de mezzanines, bourrée d’engins du sol au plafond, ils repèrent immédiatement au loin un “jeu“ à faire : suspendu à un élastique, expérimenter une plus faible gravité comme sur la lune, avec des lunettes de réalité virtuelle pour avoir l’impression d’y marcher… On y fonce illico !
Ils se bousculent au portillon. A. commence, et après avoir été harnaché saute le plus haut possible, et l’instructrice, un peu inquiète pour son matériel, lui explique que ce n’est pas le but du jeu. Sur l’écran derrière eux, on suit ce qu’ils voient dans les lunettes, suivant l’orientation de leur tête.
B. prend la relève, et manifestement, le dispositif n’a pas été prévu pour les jeunes plus costaud. Le harnais lui broie les couilles, il a du mal (!) à sauter, rigole et proteste à la fois, et du coup on a la chance de voir le sol et ses cailloux.
C’est au tour d’I. de marcher sur la lune.
Ensuite, poser le module lunaire d’Apollo 11, en évitant qu’il se scratche.
C’est de jouer avec des machines qui les intéresse, pas les machines ! Ou c’est bien trop abstrait, quand bien même on peut s’imaginer sanglé dans un étroit fauteuil dans le module de rentrée de la capsule Soyouz T-6 en juillet 1982.
La course à l’espace entre Américains et Soviétiques les laisse froids, et je ne sais pas si toutes ces machines au-dessus de leurs têtes leur semble juste un décor (ce qui est quand même le cas) où la réalité prend un petit air de fiction. Si les satellites font tellement parti de leurs vies pour relayer les communications et les images de la terre et de l’espace que tout cela semble normal, technologiquement normal.
Personnellement, j’apprécie ces maquettes colorées qui, comme les images, me pose le problème de la représentation : que se figure-t-on de plus, de moins, de mieux ou de différent, entre une maquette réduite ou à plus grande échelle, désignée plus ’jouet’ ou plus réaliste, ou un véritable engin... Quand est-ce que la représentation devient ’légendaire’..? Dans la mesure où on n’a jamais été dans l’espace, jamais participé à la construction ou au vol d’un engin, reçu et analysé des données extra-terrestres.
& que peut-on comprendre ici de la capsule Venera 7 qui se pose sur Vénus et fonctionne 27 minutes après plus de 60 000 km parcourus et de cette maquette à l’échelle 1, alors qu’aucune des données n’est représentée, et qu’elle semble justement si résistante et hermétique…
L’espace pour nous n’est qu’une idée, représenté par une forme ’iconique’.
Par des formes variées, dont chacune a une explication pratique et technique, mais qui semble aussi pouvoir relever de la même fantaisie que les engins de science-fiction. Était-ce pareil pour les automobiles et les avions avant qu’ils fassent si véritablement parti de notre univers quotidien qu’on ne les questionne plus, juste en apprécie ou critique le design et la fonctionnalité ? Déjà, un départ pour l’ISS est bien plus routinier que James Cook explorant l’Océanie... Bientôt prendre une navette spatiale comme je prends le bus 152 pour partir au Bourget en terrain peu connu…
Regarder où sont les principaux sites de lancement, comme auparavant dans le métro allumer les stations de l’itinéraire à prendre en appuyant sur des boutons.
Quelques soient les retombées sur terre ou dans l’océan, exhiber les trophées. Même ce grand bout de coiffe de fusée ne “ressemble à rien“, j’en conviens avec eux : ’Lors d’une mission du lanceur Ariane, la coiffe qui protège la charge utile est larguée quelques minutes après le lancement, hors de l’atmosphère. Un morceau de la coiffe du vol 75 (7 juillet 1995) a été retrouvé flottant au large du Sénégal. Par chance, il s’agit de la partie sur laquelle l’autocollant de la mission est apposé. Ce dernier est particulièrement bien conservé. — Construit par Contraves Space (Suisse) - 1985 - INV : 997/109/1’

Après quelques autres animations, dont mettre la main dans un gant d’astronaute et tenter de saisir une petite balle, nous quittons l’espace lointain. Une dernière photo souvenir à l’extérieur au pied d’une maquette d’Ariane, et comme dans tout musée qui se respecte (!) on sort par la boutique. Sami veut rapporter un avion à son jeune fils, qui les guette avidement dans le ciel.
En l’attendant, les 5 jeunes font tous les étalages remplis d’un tas de gadgets inutiles et chers, et touchent aux objets. Vite, un grand vendeur en T.shirt jaune les surveille de près et remet tout en ordre derrière eux. Ça devient un jeu. Ils l’appellent “le contrôleur“. Les caissières les suivent des yeux, le contrôleur remet droite une casquette sur une tête en mousse qu’ils avaient positionnée façon rappeur. Je les suis de loin mais j’interviens peu, la situation m’amuse assez, et Sami est concentré sur le modèle à rapporter à son fils de 2 ans. La responsable arrive et engueule I. qui donnait des gentils coups de poings dans un des ballons suspendus à un porte manteau sur pied, rempli de ballons. “Tu vois bien que ça n’est pas un ballon ! “ “Non, c’est quoi ?“ Soupir, sous le ballon, une petite nacelle discrète est accrochée (en en voyant dans le musée, ils ignoraient totalement à quoi ça pouvait servir). Puis ils essaient des lunettes d’aviateur et des casquettes à écusson, prennent des poses, demandent à la dame ce qu’elle en pense, se prennent en photo. Ça n’est pas le public habituel de la maison et tout le monde a hâte qu’on parte. Sami paie son jouet, on sort.

Le surlendemain, jour où on devait parler de tout ce qu’on avait vu, pensé, et puis écrire, personne au rendez-vous, malgré le rappel de Sami. Seul passe B. pour dire qu’il a entrainement de foot.
Va falloir repenser un différent et meilleur dispositif pour ces rencontres, le début des vacances n’est visiblement pas le moment le plus propice !!
Malgré cela, je suis contente des questions qu’ils provoquent : est-ce que pour les nouvelles générations, il est tellement normal d’aller dans l’espace que cela est peu étonnant ? Ils ne sont ni fascinés ni émerveillés ; il n’y a pas de quoi en faire tout un plat.

31 août 2023
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