Un rire de Dulce Maria Cardoso

Sur les réseaux, je vois passer cette citation, "Le rire est le plus beau cadeau que nous pouvons faire aux autres", attribuée à Dulce Maria Cardoso. Or, le hasard veut que je lise le livre d’où elle est extraite, Les Anges, Violeta, traduit par Cécile Lombard, publié par L’Esprit des Péninsules en 2005 [1]. Et cette phrase, quand on la sort du livre comme ça, paraît généreuse, merveilleuse, surtout associée à une image de rire d’enfant par exemple. Dans le livre, la phrase est mise en retrait, procédé utilisé par l’autrice pour signalé une phrase que l’on peut attribuer à un personnage, même si l’on ne sait pas toujours bien qui, c’est dans la conversation, c’est quelque chose de prononcé par ces braves gens qui ont toujours raison et une phrase pour le dire. Cette phrase, si on ne sait pas bien qui la prononce, on sait de qui elle parle, de l’agaçant Ângelo, avec un accent circonflexe sur le A, comme dans Âne [2], humoriste d’anniversaire et de mariage, raté, pas drôle, "plus à la mode", qui n’arrive pas à faire rire, qui finit par se faire jeter des fêtes où on l’avait payé pour venir faire l’animation, les enfants finissent par lui jeter des morceaux de gâteau, ce qui les fait, enfin, rire. Plus loin dans le chapitre où apparaît cette phrase, il y a "rien ne résiste au silence" ; puis "Ângelo ne supporte pas le silence, il le tue avec des devinettes idiotes" ; plus loin "Dora rit, elle satisfait toujours à l’obligation qu’elle a de rire". Plus loin encore, en décalage encore, pensée de la personnage principale peut-être, "personne ne peut nous faire plus de mal qu’un enfant" ; et "personne ne peut nous faire plus de mal qu’une mère". Bref, c’est ce rire là dont il est question dans la mignonnerie "Le rire est le plus beau cadeau que nous pouvons faire aux autres", un cadeau empoisonné, une souffrance familiale sans issue. Alors, toujours envie de rire ? Voilà, c’est aussi un peu l’esprit du livre qui n’est jamais ce à quoi on pourrait s’attendre, de paragraphe en paragraphe, séparés par ces incises qui sont des pensées ou des paroles, commençant sans majuscule, se terminant sans point, flux de pensées de Violeta dans sa voiture accidentée, comme si toute sa vie défilait là sous nos yeux, et ce n’est que le début. Peu à peu, le personnage de Violeta, son histoire familiale, se dévoile, alors qu’elle est toujours à l’envers dans l’habitacle défoncé de sa voiture, anti-narratrice, avec la haine qu’elle semble développer, jeu pervers, envers sa fille. On revient aux petites phrases avec ce passage :

arrête de boire, tu es en train de te donner en spectacle

Dora pense qu’elle est capable de me haïr,

et à ta mère, tu n’offres pas une plante à ta mère

elle ne sait pas que j’ai gravé dans sa chair l’impossibilité de me haïr, j’insiste, tu n’offres pas une plante à ta mère,

tout ce que tu touches, ça meurt

je n’entends pas l’ineptie qu’elle a lue dans un livre quelconque, elle souligne dans les livres des phrases idiotes auxquelles elle donne vie avec ce ton de tragédie, pauvre enfant, ce coup ne m’atteint pas, mon adversaire a perdu une chance, je plaisante

j’aimerais bien, je serais plus forte que le laser


Joachim Séné

25 octobre 2022
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[1Par l’affreux Naulleau donc, qui avait du goût pour certains textes, mais très peu pour certaines idées politiques, et encore moins comptables, puisqu’il en a provoqué le redressement judiciaire quelques temps après condamné pour manœuvre frauduleuse, mais ce n’est pas le sujet ici ; quoique, on ne trouve pas facilement ses livres, on parle peu d’elle, elle n’a qu’un livre publié en français chez Stock, qui détient les droits français de ce roman, Les Anges, Violeta ? Peut-être toujours L’esprit des péninsules si Naulleau a fini par pouvoir conserver ce nom au dépôt légal et à retrouver un financier pour les livres publiés dans cette collection dans les années 2000 ? Est-ce que toutes ces manœuvres qui ne relèvent pas de la littérature ne nous empêchent pas d’accéder à la littérature ? Il reste quelque stocks, semble-t-il, mais ensuite ?

[2Il y a de la méchanceté dans ce livre, conduite par la narratrice, mais jusqu’où ? Il y a un moment où le temps "présent" de l’accident initial va revenir.