UPE2A. Épisode 4 : "Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne"

Les Contemplations, de Victor Hugo, d’où ce célèbre poème est extrait, étaient au programme officiel (national) de Première en 2022, dans le cadre de l’objet d’étude titré « Poésie ».

Marie Boussicaud  :

« Le bac français comprend deux épreuves. Une épreuve orale, où les élèves présentent une liste de 16 textes, 4 par objet d’étude (poésie, roman, théâtre et littérature d’idées) sur la base d’œuvres étudiées en classe. Les élèves allophones, en France depuis moins de 4 ans (jusqu’à l’année dernière c’étaient 3) ont le droit surligner 2 textes par objet d’étude. Pour la deuxième partie, où il doivent présenter une œuvre parmi les livres donnés à lire à la maison par leur prof, eux peuvent choisir une œuvre dans leur langue maternelle. 
Pour l’écrit, où les élèves ont le choix entre une dissertation et un commentaire de texte, aucun aménagement n’est prévu pour les UPE2A, si ce n’est l’utilisation d’un dictionnaire bilingue. Leur copie sera corrigée comme les autres, d’où les très mauvaises notes qu’ils obtiennent parfois à l’écrit. » 

Bénédicte Vilgrain :

D’où la question : qui est encore « allophone », qui est considéré.e comme francophone (ou, à défaut de « francophone », « autonome ») ? Du BAC de français, nous dérivons cet après-midi vers l’épreuve du DELF, programmée en juin, le diplôme de langue française qu’ils ont présenté l’année précédente, peu avant / après les entretiens ayant conduit à leur orientation en Première ( [1]) :

6 décembre l’après-midi, 13 h – 14 h, avec des UPE2A rattaché.e.s en classes de Premières, qui reçoivent une assistance à la préparation au BAC de français. Ils & elles sont inquiet.ètes : le professeur de français absent depuis longtemps... Les élèves n’ont reçu de remplaçant.e que deux fois...

Contrairement à la séance de juin 2023 (séquence 2), aujourd’hui nous préparons le sujet imposé de l’épreuve écrite. D’où l’inquiétude des jeunes. L’écrit doit être une « composition », alors qu’à l’oral on peut suivre « linéairement » le poème. L’un des exercices préparatoires : noter dans le poème de Victor Hugo (« Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne ») les éléments de vocabulaire relevant de divers registres, comme : le deuil (Victor Hugo se souvient de sa fille Léopoldine, naufragée avec son mari alors qu’elle n’avait que 19 ans). L’emploi du futur (la détermination du poète). Le repli sur soi (en dépit de la présence de la nature, que la métaphore (« or », dans le poème !), contribue à garder à distance : « à distance », les élèves le sont aussi, qui ont du mal à saisir le sens de la notion de « métaphore »). Enfin, le retour de la nature dans le for intérieur du poète (concomitant de la progression vers le cimetière). Victor Hugo date ce poème de septembre : le 3, veille de l’anniversaire du naufrage – Wikipedia nuance : le poème date en réalité du 4 octobre 1847. Je lis que le houx y est dit « vert », et que la bruyère y est « en fleur ». La bruyère, dont la floraison est en automne, saison des fleurs sur les tombes. Comme pour une préparation à l’oral, les élèves s’exercent à suivre le poème vers à vers... Elèves peu réactifs ce jour-là, surtout préoccupé.e.s de l’angoisse de ne pas réussir ! Et de l’absence chronique de leur.(s) prof.(s). Le . la professeure de français est le professeur principal.

… Les Secondes seront plus réactif.ve.s au commentaire linéaire (oral) d’une prose qui leur aura été confiée à la suite d’un dossier sur la Première Guerre mondiale : nous sommes en ...

janvier 2024, lundi 15, l’après-midi : 13 élèves. L’ouvrage étudié : « Au revoir là-haut », de Pierre Lemaître (Goncourt 2013), a donné lieu à la réalisation d’un film (Albert Dupontel, 2017) dont l’enseignante nous projette la première scène : bombardements et tirs d’artillerie sur des soldats au milieu de la boue, sans possibilité de se « couvrir ». Précédant la projection, une séance de « tirer des rideaux » devant les hautes fenêtres de la salle de classe, afin d’éviter trop de lumière : Diyor, d’origine ouzbek, arrivé en septembre 2023, se voit confier une partie de l’intendance (mise en route du projecteur). Il a réagi de manière dubitative à l’énoncé de Marie, parlant de Monsieur Poutine à propos du terme « propagande » (comment expliquer ce terme, lu dans le texte ?) Diyor, élève brillant, qui aurait pu intégrer une Première directement si son niveau de français avait été suffisant, a dressé l’oreille et esquissé une moue. Bien ... l’enseignante transige : elle profite de sa formation d’hispanophone pour trouver la parade : la « propagande » c’est par exemple l’idée, répandue chez les franquistes au moment de la Guerre civile espagnole, que les communistes mangent leurs enfants (lisant une Histoire de la guerre civile russe 1917 – 1922, par Jean-Jacques MARIE / Tallandier, je réalise d’où cette « rumeur » tient sa source : dans l’épouvantable famine qui accompagna le chaos de cette guerre civile / synchrone (et liée) avec la Guerre de 14-18 que les élèves sont priés d’étudier).

Elèves et enseignante s’emploient à surligner en couleurs, dans le texte de Pierre Lemaître :

1. Trions le vocabulaire de la guerre. On a appris le sens de la désignation « Poilus », pour les soldats « croupissant » dans les tranchées. Les élèves ont lu des lettres de poilus (dont une lettre de Maurice Genevoix à Paul Dupuy, directeur de l’Ecole normale supérieure, du 23 février 1915. Notre lycée porte le nom de Maurice Genevoix). A titre d’exercice, les élèves doivent eux aussi rédiger une « lettre de poilu ». Auparavant, il faut qu’ils apprennent le vocabulaire des lettres lues en classe. Ils n’ont rien appris, l’enseignante hausse le ton : C’en est trop ! Les élèves bénéficient de toutes sortes de propositions (sorties scolaires, expos, lectures : empruntées à la Bibliothèque) mais ils ne travaillent pas à la maison ou en tout cas pas assez : « Connaissez-vous le sens du mot « apprendre » ? », leur demande Marie Boussicaud. Reprenons le fil du texte de Pierre Lemaître :

2. antithèse de la guerre : l’aspiration à sa fin (« cessez-le-feu ». Armistice, dont je découvre le genre masculin). Démobilisation (« qui fut progressive. Dura un an. On commença par démobiliser ceux qui avait 48 ans et plus. ») Le texte de Lemaître prend ses distances avec la doxa de la guerre. Question aux élèves : qu’est-ce que le « scepticisme », dès la quatrième ligne ? Le mot « propagande » est placé au tableau dans une liste commune avec « rumeur » et l’expression « prêter du crédit à ». Un.e élève hésite entre : « il est arrivé à » ou « il a réussi à » et finit par confondre : « il a arrivé à ». Le choix entre « être » et « avoir » dans une phrase française( [2]) intervient, sous forme d’exercice (« compléter une phrase ») dès le premier cours de niveau A1. Le choix de l’auxiliaire dans la formation du passé composé n’intervient que plus tard, fiche n°13. (13 fiches-étapes de l’un à l’autre...)

Au vocabulaire listé de la guerre (je dresse l’oreille au joli mot de « besace »), Carlos voudrait ajouter la « boue », omniprésente. Carlos, originaire du Brésil, a du mal à prononcer ce mot, à cause de ses trois voyelles en finale ! Il a des difficultés en français, malgré une volonté manifeste de participer. La boue : mélange de terre et d’eau, précise-t-il. Ce matin, Carlos est arrivé en cours avec des lunettes cassées en deux : un verre+demi-monture de chaque côté. L’enseignante l’envoie chercher de la superglue au bureau « La Vie scolaire », puis les lui répare. Carlos, comme Fredy, aurait dû intégrer en UPE2A un collège niveau troisième : à défaut de place tous deux se sont retrouvés en Seconde à Maurice Genevoix : « situation problématique, estime Marie Boussicaud, car ils auraient profité de plus d’encadrement dans les autres matières [en Troisième, en Collège] » ...

Le vocabulaire surligné dans l’ouvrage de Lemaître conduit à interroger les « images » véhiculées : en particulier « gueule cassée ». Sur l’affiche du film est dessinée une découpe de masque (premier plan à gauche de l’image), d’où sortent (par les cheveux) toutes sortes de personnages accrochés. Comment comprendre ce cortège ?

La description de l’affiche conduit à une discussion sur ce qu’est un « masque » (« les comédiens en portent dans les théâtres d’Asie du sud-est : Viet-nam, Thaïlande »). J’apprends à cette occasion que les UPE2A de Secondes peuvent suivre un cours de théâtre chaque jeudi après-midi dans l’enceinte du Lycée : hâte de pouvoir y assister !

Le film, comme le livre, s’appelle « Au revoir là-haut ». C’est quoi, « là-haut » ? Pourquoi pas « adieu » ? Ce titre, « Au-revoir là-haut », conduit à des hypothèses sur ce que pourrait être l’autre monde qui n’est, ici, ni nommé « à dieu », ni paradis ( [3]).

La ribambelle de personnages sortant du masque doit être lue comme un cortège de souvenirs accompagnant désormais la « gueule cassée » (soldat défiguré par un éclat d’obus. Je pense à ces courts vers de Keith Waldrop, poète né à Kansas, Etats-Unis, en 1932 : « Le ciel, dit-/ elle, est/ la mémoire/ de l’enfer. » trad. Fr. de Laroque)

Dans le scénario de Pierre Lemaître les deux héros (au cours des années suivant leur démobilisation) « participent à un concours national pour vendre aux municipalités des monuments aux morts qui resteront fictifs. » (Wikipédia)...

Occasion toute trouvée de charger les élèves d’un petit exposé sur un monument aux morts de leur choix. Diyor en présentera deux ! :

1. Le monument aux morts de la Guerre de 14 – 18 de Boulogne Billancourt, commune du 92 où il réside avec ses parents. Il nous projette des photos : monument sculpté par Paul Landowski (1924) PUIS

2. à Tachkent, un monument aux morts du tremblement de terre de 1966 (Ouzbekistan). Inauguré le 20 mai 1976, dont une frise à l’honneur de l’U.R.S.S., qui aida la restauration des ruines. Le « Monument du Courage ».

Les élèves sont tenus de noter la dimension symbolique de certaines figures revenant régulièrement dans les monuments étudiés : Tristesse du personnage de femme (paysanne). Jeunesse des blés, fauchés avant terme. Etc.

On s’interroge sur le sens du mot « frise ». A cette occasion, on introduit aussi la notion de triptyque, et on évoque La Guerre, d’Otto Dix (vue ensemble ? [4]).

D’autres élèves, comme Fyorella et Luana, présentent « leur » monument : j’ai beaucoup de mal à entendre Luana, qui, me semble-t-il, ne prononce pas (timidité manifeste). Marie le lui fera remarquer. Luana, déjà observée (épisode 3) au cours d’une séance de portraits, progressera assez vite à partir de janvier.

26 juillet 2024
T T+

[1Ce « souci » (la préparation du « DELF ») occupera un cours de niveaux A2 / B1, vendredi 31 mai 2024. Préparation de la phase « dialogue » (troisième phase) du DELF :cf. séquence 5, à paraître.

[2Comme pour dire « j’ai faim » : pourquoi ne pas dire : « je suis affamé.e » comme en allemand, « ich bin hungrig » ? Sans parler de la tournure « la faim m’a », considérée, par exemple en persan moderne, comme fossile d’états de langues plus anciens … (Information due à Justine Landau, enseignante chercheuse en langues iraniennes).

[3Marie Boussicaud : J’essaye de familiariser les élèves avec le langage (écrit, oral, mais aussi non verbal, les codes de l’école en France. Par exemple la laïcité, dont tu parles plus haut, leur est souvent complètement étrangère et leur apparaît comme une bizarrerie. « Pourquoi je ne peux pas parler de ma religion ? » est une question qui revient souvent. Je leur explique qu’ils peuvent en parler bien sûr mais sans essayer de convaincre les autres que leur religion est la meilleure et dans le respect de l’opinion des autres. C’est un sujet toujours très intéressant.)

[4à noter que l’art comme méthode d’enseignement est déjà très intégré à ce soutien aux UPE2A. Par exemple, ils ont été invités à participer à une séance de hip hop (break dance) et projection de documentaire au Musée de l’immigration (Palais de la Porte Dorée) peu avant le 1er mai 2024. Cette collaboration initiée entre les UPE2A au Lycée et le Musée donnera lieu à d’autres, programmées pour 2024-2025 ...