Être vivant, pour vous, c’est quoi ?

Héloïse

Je suis vivante.
C’est-à-dire que je suis en vie. Être vivant c’est respirer.
Être vivant c’est simple. Pour être vivant il suffit de manger et boire. Il suffit d’approvisionner son corps.
Pour être simplement vivant il suffit de cela. Je suis vivante.
Je vis sur le fil de la vie. C’est-à-dire je mange et je bois. Je pense.
Penser n’est peut-être pas nécessaire à la vie. Ce n’est pas un besoin primaire mais je pense. Je pense que penser découle de la vie humaine.
Tout le monde pense. Tout le monde a une pensée. Une pensée plus ou moins approvisionnée en nourriture mais tout le monde pense.
Je pense qu’il y a la nourriture du corps, celle qui est nécessaire à la vie physique, et il y a la nourriture de l’esprit, de l’âme, celle qui est nécessaire à la santé mentale.
Je dis que je vis car je suis capable de constater cela. Je pense je suis en vie.
Je pense je suis capable de penser.
Je pense je suis capable d’avoir une pensée qui part d’un point A à un point B.
En écrivant cela je pense que je n’avais rien compris au texte Au bord de Claudine Galea que j’avais choisi l’année dernière à l’épreuve du premier tour du TNS.
Je pense que je n’avais rien compris à l’anaphore de la pensée. Je pense que tout cela était beaucoup plus profond, plus relié à l’esprit qu’à la sensation.
Penser c’est le propre de la Femme.
Penser c’est ce qui différencie la Femme de l’animal. La Femme raisonne. La Femme est capable de raisonner.
Je dis la Femme avec un F majuscule comme certains diraient l’Homme avec un H majuscule. Quand j’emploie le mot femme avec un F majuscule je parle de l’humain en général.
La Femme pense.
La Femme a un don. Un don de dieu. Un don de la nature. La Femme a la pensée.
Le propre de la Femme est de penser.
Exister pour la Femme c’est donc développer au cours d’une vie entière cette pensée. Écrire sa pensée c’est laisser une trace.
C’est partager avec l’autre son don, son intimité.
Rien de plus intime que la pensée. Personne ne sait ce qu’il y a dans ma tête au moment où je pense cela. Et pourtant je pense en continu. Tout le temps je pense quelque chose. Tout le temps ma pensée accélère dans ma tête et fuse. Tout le temps je pense. Et pourtant personne ne sait.
Personne ne sait tant que la voix ne sort pas. Tant que la voix ne sort pas alors personne ne sait ce que je pense. Personne sauf moi.
La solitude.
Je suis vivante.
(...)


Lubin

Être vivant c’est la mouche qui se débat contre le papier tue-mouches en plein été. C’est cette mouche qui joue sa vie contre cette immondice, responsable de génocides, impassible face à l’ennui d’une maison vide une longue journée d’été. Moi je suis la mouche, ma vie c’est le papier tue-mouches. Je suis vivant en me roulant dedans, en me sentant asphyxié dedans.

Cette mouche à ce moment-là ne pense qu’à sa vie, elle n’a rien d’autre, et bientôt n’aura plus le choix. Chaque millimètre de son corps frêle crie la vie, supplie la vie qui lui reste. Être vivant, c’est cet appel au secours d’une mouche lors d’une longue journée d’été.

Moi je me roule dans tes draps, ils sont comme du papier mouche pour moi, je ne pourrais en sortir. Je bois avant la sécheresse de l’été et me retrouver mort, complètement séché sur le coin d’une vieille table en bois de ferme. Un corps inanimé qu’on dégage d’une pichenette. Alors englue-moi, que je reste bloqué à tout jamais, avant qu’on me décroche du papier tue-mouches, avant qu’on décroche le papier tue-mouches et qu’on vende la maison. Ça, c’est la vie, roulons-nous dans le papier tue-mouches, collons-nous, serrons-nous, buvons-nous avant la sécheresse, avant la pichenette.

Je ferme les yeux, la vie est un papier tue-mouches. Nous sommes des mouches, allons tous voler dedans, pour le frisson, parce que sinon que faire à part se poser sur la merde ?


Blanche

Être vivant, c’est totalement différent en fonction de qui le dit.

Quand mon voisin du dessous vient fracasser ma porte de son poing en criant d’arrêter de faire du bruit, lui, il se sent vivant. Il s’est senti vivant quand, réveillé par le bruit, il a pris son courage à deux mains, quand il a surgi hors de son appartement, encore en caleçon. Il s’est senti vivant quand il a gravi les marches en faisant résonner chaque pas avec colère. Et il s’est senti débordant de vie quand il a assis son pouvoir testostéroné sur mon palier en m’imaginant morte de trouille de l’autre côté de la porte.

Pourtant, quand j’ai ouvert la porte au voisin bedonnant, j’ai vu un corps sans vie, rongé de frustrations, qui se levait pour la première fois de la journée de son canapé où il a creusé sa tombe. Quand je me tiens face à cet être suant, mort de l’intérieur, moi, je me sens vivante. Je me suis sentie vivante quand la musique a inondé mon appartement, quand j’ai servi du bon pinard à tous les bons vivants chez moi. Je me suis sentie vivante quand j’ai dansé en faisant résonner chaque pas avec joie. Et je me suis sentie débordante de vie quand j’ai crié au frustré de voisin d’aller se faire foutre. Quand la police fait son travail et vient mettre une contravention pour tapage nocturne, là, il n’y a plus de vie. Je me suis éteinte quand l’agent m’a rappelé qu’en temps de Covid, il est déconseillé de faire des rassemblements dans un lieu clos, quand il a demandé à toutes les âmes de sortir. Je me suis éteinte en saluant les copains silencieux qui rentraient chez eux parce qu’on a décidé pour eux. Et je me suis sentie sans vie quand j’ai sorti ma carte bleue pour régler la dette de ce trop-plein de vie.

Quand Marc rentre chez lui, imbibé d’alcool et de bonheur artificiel, lui, il se sent vivant. Il s’est senti vivant quand il a enquillé les trois shots de rhum Neisson, son verre de rouge à la main, quand il a entendu la joie résonner contre les murs de l’appartement. Il s’est senti vivant quand, chassé par les flics, il a dévalé les marches quatre à quatre de l’immeuble en pouffant de rire. Et il s’est senti débordant de vie quand il a pris son scooter pour traverser la ville sans attestation en pleine période de confinement en chantant à tue-tête. Pourtant, quand Marc a été retrouvé deux rues plus loin, écrasé sur le feu de signalisation au croisement de la rue Jean-Pierre-Timbaud et du boulevard de Belleville, il était bien mort, un sourire béat sur le visage.

Quand Jeanne marche rue Jean-Pierre-Timbaud, avant d’arriver au croisement boulevard de Belleville, elle, elle se sent sans vie. Elle s’est sentie sans vie quand elle a vu son image dans un miroir à la soirée, quand encore une fois, elle n’a pas su comment exister dans le groupe. Elle s’est sentie sans vie quand elle regardait les autres danser. Et elle s’est sentie morte de l’intérieur quand elle a rempli son nez de cocaïne pour pouvoir exister. Pourtant, quand elle arrive au croisement de la rue Jean-Pierre-Timbaud et qu’elle se tient face au corps disloqué de Marc, elle est morte de peur mais elle se sent débordante de vie. Chanceuse de vivre.

Être vivant c’est être là, maintenant. Au présent.


Amandine

Être vivant c’est boire un jus de gingembre bien fort. C’est jouer à la pétanque avec ses potes et sentir la haine qui monte quand tu perds et la fierté quand tu gagnes. C’est traduire avec son corps les vibrations d’une musique. Se mouvoir à l’intérieur de ses vibrations. S’abandonner à la musique. Vouloir plonger dans un coucher de soleil et sentir les nuages sur sa peau. Entrer dans un lac ou dans la mer un après-midi de canicule. Être vivant c’est boire quand on est assoiffé et manger une pâtisserie d’une seule bouchée. C’est avoir un fou rire qui fait mal aux abdos, un fou rire incontrôlable qui donne envie de pisser, un fou rire au moment où on doit surtout pas en avoir. Être vivant c’est le soleil dans le dos, c’est s’allonger dans le sable ou dans l’herbe. C’est rentrer dans une histoire et y croire à 200 pour cent. Être vivant c’est se faire peur tout seul en imaginant des trucs chelou. Pleurer devant un film. C’est jouer à l’Américaine qui boit un ice-coffee à une terrasse de café. Être vivant c’est sentir les tremblements des membres quand la colère monte. Puis se calmer. C’est pleurer toutes ses larmes et avoir les yeux gonflés. Être vivant c’est serrer dans les bras. Inspirer et se remplir des parfums de ceux qu’on aime. C’est embrasser sur la bouche en mettant ni trop de bave ni pas assez. C’est avoir la bouche pâteuse après un bon petit joint de beuh naturelle. Et avoir la foncedalle. Manger du poisson cuisiné par ma marraine guadeloupéenne et parler de Jésus avec elle, en riant et en déduisant que Jésus c’est juste la joie et l’amour, c’est tout. Être vivant c’est le débat qui va loin et qui s’arrête pas. C’est déguster un verre de cognac. C’est rire trop fort au ciné ou au théâtre et ricaner quand un vieux frustré te dit chut. C’est lancer des pop-corn super haut et les rattraper avec la bouche. C’est ouvrir les fenêtres de la voiture et mettre la musique à fond.


Alexis

Être vivant
C’est
Te chercher. Te chercher. Croire te voir. Me planter.
Te chercher. Croire te voir. Essayer. Me planter.
Croire te voir. Y croire. Me planter.
Chercher. Me planter.
Te chercher. Me perdre.

Te voir. Te regarder. Te sourire. Te parler. Te rencontrer. Me perdre dans tes yeux. Rire. Chanter. Danser. Jouer. Boire. Fumer. Reboire. Refumer. Te sentir à mes côtés.
Se voir. Se regarder. Se sourire. Se parler. Se rencontrer. Se serrer dans les bras. S’embraser. S’embrasser. S’apprivoiser. Découvrir ton corps. Découvrir nos corps. Se toucher. Se câliner. Se caresser. Faire l’amour. Baiser. Niquer. Coucher. Faire l’amour. Jouir. Exulter. Vivre.

Vivre ensemble la passion, la détente, la chaleur, la folie, ton bordélisme, ton soutien, ta confiance, ta passion, ton talent. Ton intelligence. Ton courage. Nos soirées. Nos pétards. Nos douches. Nos fous rires. Nos …˜on s’en bat les couilles’. Nos conneries. Notre insouciance. Notre non peur du lendemain. Nos 20 ans.

S’éloigner. Ne plus se comprendre. Être jaloux. Être envieux.. Avoir de la haine. Avoir de la peine. Être triste . Avoir peur de te perdre. Te perdre. Être remplacé.

S’engueuler. Pleurer. Crier. Pleurer. Hurler. Pleurer. Te détester. Se détester. Se révolter. Prier. Se déchirer. Se faire du mal. Se Séparer. Se réconcilier. Voir un dernier film ensemble. Se réveiller une dernière fois ensemble. Prendre la route une dernière fois ensemble. Se séparer. Pleurer. Se résigner. Accepter. Pleurer. Te perdre. Me perdre.

Se relever. Oublier. Repartir. Y repenser. Pleurer. Se relever. Oublier. Repartir. Te chercher.

Être vivant c’est aimer. Être aimé. Ne pas être seul. Être à deux. Ne former qu’un.

Être vivant c’est te trouver.


Adil

Être vivant, c’est avoir conscience que l’on sera mort.
Que nous ne sommes pas pérennes. Que la lumière s’éteindra un jour sur nos visages, et que toutes les bougies que nous aurons soufflées se rallumeront pour embraser nos corps une unique fois.

É–
Être vivant, c’est factuel, scientifique, inintéressant.
C’est creuser plus loin que les fosses des tombes. Séparer les vivants des morts. Plonger dans le Styx sans même avoir pris de respiration avant, et d’un seul coup se voir soi-même, depuis la rive, nous dire au revoir. La vie et la mort ne sont pas antithétiques. Elles ne le sont plus du moins.
–PI–
Être vivant, c’est être au centre du monde.
Vivre une émotion forte, un moment intense, qui marque la mémoire au fer chaud, qui imprime dans le décodeur crânien une image en couleur 4K indélébile. Les effets spéciaux s’ajoutent avec le temps, par fabulation HDMI. Et une fois le montage sanguin terminé, les corps s’animent dans nos lobes frontaux comme sur un rétroprojecteur des années 90. Des vies en pellicules indécryptables, intangibles, dragueuses.
–TAPHE
Être vivant, c’est avoir les yeux bandés presque autant que la gueule, malgré les dents qui sifflent pour mordre, se sentir utiles. Mordre pour exister. S’emmurer vivant, c’est aussi ça. Subir pour mieux vivre. Abandonner. Puis recommencer. Jusqu’à ce mot :
É–PI–TAPHE, et alors être vivant n’est plus vivant.

12 mai 2021
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